Julien Lahaut Vivant
A vendre à 14€ chez Carcob Achevé d'imprimer sur les presses de l'imprimerie Vervinckt & fils en juin2020 - Imprimé en Belgique. © Éditions du Cerisier B-7033 Cuesmes (Mons). editionsducerisier@skynet.be editions-du-cerisier.be © Éditeur scientifique, CArCoB, 33, rue de la Caserne B-1000 Bruxelles carcob@skynet.be Dépôt légal : D/2020/4942/01 ISBN : 2-87267-223-3 Pour Julien, Préface L'enfant de Seraing En Russie, avec les autos-canons-mitrailleuses.
Bibliographie Julien Lahaut en BD: (à voir par le lien: La vie de Julien Lahaut en Bande Dessinée, jh) PRÉFACE de José Gotovitch pour la première édition de 2010 - Table de matières Le mouvement ouvrier belge a produit de grandes figures qui balisent l'histoire de ses conquêtes. Si l'histoire est le produit de l'affrontement des forces sociales qui structurent les sociétés, il n'en reste pas moins que des hommes ont pu incarner, impulser et orienter les luttes à certains moments décisifs. Le métallurgiste, le syndicaliste, le dirigeant politique Julien Lahaut appartient à cette phalange d'hommes qui ont donné un visage à la classe ouvrière wallonne, ont été portés par elle et l'ont conduite dans des batailles décisives de son histoire. Pour être précis, sa stature, sa voix, et plus tard son souvenir incarnent la part prise par les communistes aux grands combats du premier demi-siècle passé. De l'anarcho-syndicalisme au syndicalisme de classe, de la Révolution russe aux grèves offensives et dures, vaincues et victorieuses de l'entre-deux-guerres, de l'antifascisme à la guerre d'Espagne, de la lutte contre l'occupant aux camps de concentration, de la libération, la sienne et celle de tout un peuple, à la question royale, Lahaut parcourut tous ces chemins en marquant sa présence par son verbe, son action, sa chaleur et ses convictions. Et bien entendu c'est ce symbole qui fut abattu, donnant à cet homme qui «avait mis le soleil dans sa poche» l'aura d'un martyr, aux antipodes de la stature qui était sienne. Car, comme l'écrit ci-après Jules Pirlot, si cet assassinat politique, le premier commis en temps de paix dans notre pays, a marqué les esprits, il a aussi quelque peu masqué la longue suite de combats que constitue sa vie et couvre un demi-siècle. Car Lahaut tut tout sauf une icône. Cet homme qui incarna le communisme wallon et qu'Octobre 1917 avait définitivement conquis, ne suit pas le chemin tout tracé du militant de l'Internationale. Il fut essentiellement un syndicaliste d'action et il s'identifie à la longue et célèbre grève d'Ougrée-Marihaye qui le place définitivement en opposition avec les leaders socialistes et dont une photo au milieu des enfants qui portent un calicot «les patrons sont des méchants» fixe à jamais la célébrité. Il crée sa propre organisation syndicale qui ralliera l'Internationale syndicale rouge, non sans démêlés vigoureux et «francs» avec le Parti communiste de Belgique. Il ne rallie celui-ci que plus tardivement et demeurera longtemps «un cas» aux yeux de la direction du Parti mais aussi de l'Internationale. Mais chacune des années de sa vie est un combat, profondément immergé au sein des masses : il est un des rares dirigeants communistes qui ait effectivement été ce que l'on désignait dans le jargon «un homme de masses». Les scores stupéfiants et uniques que la population de Seraing lui accorde dès l'avant-guerre en témoignent, à une époque dont étaient absents les supports médiatiques qui fabriquent aujourd'hui des «stars», très éloignées de l'enracinement politique et social. Rares également sont ceux que la vie dans les camps de concentration a fait émerger avec cette unanimité persistante sur la fraternité solidaire déployée envers ses compagnons. C'est d'ailleurs au nom de l'un de ceux-ci que les assassins le dérangeront chez lui au soir du 18 août 1950. Un homme hors du commun, avec ses qualités et ses travers, qu'il était bon, qu'il était nécessaire de mettre en lumière, au-delà des clichés et des discours commémoratifs qui bien souvent effacent l'empreinte réelle du personnage dans l'histoire, gomment les combats effectifs de l'homme derrière «le héros». Le travail de Jules Pirlot a cette ambition, tout en affichant ouvertement ses limites. Ceci n'est pas l'étude académique, qui reste à faire, sur les détails de l'activité de Lahaut. Ces pages, rigoureusement fondées sur des sources largement renouvelées et originales, offrent cependant, destinées à tous et lisibles par tous, un tableau complet qui recrée, en traçant avec justesse le terreau social et politique qui l'a produite, la vie du militant ouvrier, du dirigeant politique Julien Lahaut. Dans ce pays où rares sont les militants qui ont pris la plume pour transmettre leur expérience de vie, trop rares encore sont ces biographies qui nous plongent au cœur même de la démarche qui fonde le militant. Ajouterais-je que l'écroulement de l'utopie qui enflamma cette génération et l'amena au communisme rend plus indispensable encore les outils qui permettront de comprendre cet engagement, sa pérennité tout au long de ce demi-siècle, et donc sa force. Jules Pirlot a construit cet outil sans cacher son empathie - et qui n'en manifesterait pas envers pareil personnage? -sans en masquer les bémols, sans forcer le trait. Parcourons donc avec lui ce chemin étonnant et rare qu'il nous permet de mieux connaître. José Gotovitch, Cet ouvrage a été réalisé avec la collaboration scientifique du Centre des Archives du communisme en Belgique (CArCoB), 33, rue de la Caserne, 1000 Bruxelles, association sans but lucratif, centre d'archives privées reconnu par le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Julien Lahaut vivant
PRESENTATION - Table de matières Julien Lahaut est surtout connu par sa mort. Son assassinat, le 18 août 1950, quelques jours après le cri de «Vive la République» lancé par le groupe communiste lors de la prestation de serment du «prince régnant», le futur roi Baudouin, devant les Chambres réunies, l'a figé dans la figure du martyr. Mais la vie de Julien Lahaut est bien mal connue et peu étudiée. L'excellent article de Maxime Steinberg dans la Biographie nationale et la brochure de Bob Claessens Julien Lahaut, une vie au service du peuple, éditée à l'initiative du Parti Communiste de Belgique en hommage à son président assassiné, ont servi de point de départ à la première édition en 2010. Ce petit ouvrage n'avait pas l'ambition de combler toutes les lacunes dans nos connaissances, mais, à l'occasion du soixantième anniversaire de son assassinat, de mettre à la portée du grand public, une biographie d'un militant que la Fondation Joseph Jacquemotte et l'Institut d'Histoire Ouvrière, Économique et Sociale avaient déjà illustrée par des expositions lors de précédentes commémorations. Depuis lors, la publication de Qui a tué Julien Lahaut? résultant de la recherche du CEGESOMA justifie une réécriture du dernier chapitre. Cette nouvelle édition tient compte de nouvelles sources et a été enrichie de plusieurs documents iconographiques. Julien Lahaut n'était pas un intellectuel. Il n'aimait pas lire et il écrivait peu. Il avait une belle écriture et une bonne orthographe, fruit de l'école primaire d'avant-guerre (celle de 1914-1918). Sa main se fatiguait au bout de trois pages. Il n'était pas venu au communisme par une formation théorique marxiste mais par la pratique de la lutte des classes. Il n'a laissé aucune œuvre théorique ni d'archives personnelles, juste quelques brochures pour lesquelles il avait probablement prêté son nom, et quelques discours qui ont été imprimés. C'était un homme de culture verbale. Un prodigieux orateur selon tous les témoignages. Avec son accent wallon, traînant sur les «a» quand il prononçait camarades, sa voix forte et sa stature imposante, il savait se faire entendre, s'imposer devant une foule attentive, maîtriser un chahut. Il aimait le contact humain, multipliait les prises de parole, courait aux piquets de grève. Tout jeune il était déjà populaire. La fausse nouvelle de sa mort en Russie pendant la Première Guerre mondiale avait déjà suscité l'émoi à Seraing. Bien avant son assassinat il était un personnage légendaire comme, avant lui, le tribun Célestin Demblon. Ce livre comporte des indications concernant le contexte historique, une iconographie et des citations nombreuses qui nous replongent dans l'atmosphère de ces temps révolus et apportent quelques éléments nouveaux. Afin d'échapper à la lourdeur d'une publication académique surchargée de notes et de références, l'auteur renvoie globalement aux ouvrages cités dans la bibliographie. Les archives nouvellement exploitées sont signalées dans le texte. Un certain nombre d'informations proviennent de la presse communiste dont on peut consulter les microfilms au CArCoB. Le lecteur intéressé par la biographie des militants communistes cités, consultera les notices écrites par José Gotovitch dans Du rouge au tricolore, résistance et Parti communiste et Komintern, l'histoire et les hommes, Dictionnaire biographique de l'Internationale communiste publiés sous sa direction. II y a encore un terrain de recherche considérable à exploiter : dépouillement systématique des publications des débats à la Chambre, au Conseil communal de Seraing, au Conseil provincial de Liège, des procès-verbaux des congrès, du Comité central et du Bureau politique du PCB, des archives de la justice, de la police et de l'armée... Le Centre des Archives communistes en Belgique appelle de ses vœux la réalisation de mémoires de licence, d'un doctorat ou d'une publication scientifique approfondie de la biographie de Julien Lahaut. Et pourquoi pas un film réalisé dans le cadre d'un projet sur l'histoire du mouvement ouvrier en Wallonie? Pour mieux comprendre - Table de matières Le lecteur sera confronté à la terminologie de l'univers communiste. Le Parti communiste y est souvent cité en abrégé PC ou sous son sigle PCB, Parti communiste de Belgique. Il est dirigé à l'époque qui nous concerne, par un Secrétariat - secrétaire est donc synonyme de dirigeant - et par un Bureau politique, en abrégé BP, élu par un Comité central, en abrégé CC, lui-même élu lors d'un congrès. Les congrès composés des délégués des fédérations constituent des moments solennels dans la vie des partis communistes, ils sont numérotés en chiffres romains. Un congrès peut être remplacé dans l'urgence par une conférence nationale, elle-même souveraine. Le PCB constitue la Section belge de l'Internationale communiste (SBIC). On emploie indistinctement les termes Internationale communiste (IC), IIIème Internationale, (la Ière étant celle de Marx, la IIème celle des socialistes) ou encore Komintern, qui est son abréviation en russe. L'IC fonctionne comme un Parti communiste mondial. Elle a également ses congrès et un exécutif dirigeant subdivisé en sections. Le PCB dépendait du secrétariat «latin» de PIC, donc de l'Europe du sud. Le Komintern est doublé d'une internationale des syndicats «rouges» d'obédience communiste, le Profintern, et a suscité le Secours rouge international (SRI). Moscou est le centre de décision. Il ne faudrait cependant pas croire qu'il s'agit d'une organisation russe. Si Staline en est devenu le numéro un et subordonne la ligne de PIC à la politique de l'URSS, le Bulgare Dimitrov et l'Italien Togliatti, pour ne citer qu'eux, y ont exercé une influence incontestable. À sa dissolution en 1943, PIC est remplacée par un Bureau d'information du mouvement communiste international, le Kominform en russe, qui s'efforce de maintenir la cohésion autour de la ligne soviétique. Mais chaque parti est formellement indépendant. L'ENFANT DE SERAING - Table de matières Un petit Julien naît, le 6 septembre 1884, dans une famille ouvrière à Seraing, commune industrielle qu'il habitera jusqu'à son assassinat le 18 août 1950. Enfant de Seraing, il deviendra pour ceux qui l'ont connu «noss Julien» en wallon, un leader entouré de l'affection populaire. Acte de naissance Julien Victor labaut est né 1884, tout un contexte. Une période de dépression économique et de chômage avec des baisses de salaire. Un an avant la création du Parti ouvrier belge dont le père de Julien, Joseph Lahaut, devient militant. Deux ans avant que les anarchistes liégeois, lors d'une commémoration du quinzième anniversaire de la Commune de Paris, déclenchent le formidable mouvement de colère ouvrière, avec émeutes et grève, qui se répand comme une traînée de poudre dans le sillon industriel wallon. Les protagonistes de ce mouvement furent durement réprimés. Il y eut des blessés, des morts, de lourdes condamnations. Mais un siècle plus tard, 1886 fut célébrée comme l'année de départ de la conquête du suffrage universel, de la sécurité sociale et même de la prise de conscience wallonne. L'enfance de Julien a été marquée par la grève de 1891 pour le suffrage universel. Bob Claessens qui a eu l'occasion de discuter avec son ami d'enfance et de toujours Albert Rical, rapporte qu'ils jouaient à manifester. Ce n'est pas exceptionnel pour l'époque. Auguste Vaulet, fondateur de «l'Union des Coiffeurs», né en 1883, raconte que lui aussi «jouait à la grève». Ceci donne une idée de la prise de conscience précoce des enfants des milieux populaires de l'époque. Julien, sept ans, et ses amis se promenaient avec un drapeau rouge confectionné avec un mouchoir et un bâton en chantant «Vive Demblon, la digue digue daine, Vive Demblon ou la révolution», au grand effroi de sa mère qui redoutait des représailles patronales contre son mari. Dans la maison familiale que Julien partageait avec son père, sa mère et ses deux grandes sœurs figuraient les portraits de Demblon et de Defuisseaux, l'auteur du Catéchisme du peuple qui réclamait le suffrage universel.
Joseph Lahaut, ouvrier ajusteur chaudronnier, avait été victime d'un accident de travail jamais indemnisé. Il avait perdu un œil. Militant de la première heure, il avait été licencié en 1891 et mis à l'index des grandes entreprises. Il dut se contenter de travailler pour de petits patrons. Il fut la cheville ouvrière de la première ligue socialiste de Seraing et travailla de ses mains à l'édification de son local rue Saint-Roch, aujourd'hui rue Chapuis. Ce bâtiment a été pulvérisé par un obus allemand en août 1914. Décidément l'artillerie allemande avait un faible pour les lieux de mémoire ouvrière car le même sort attendait le local de la place Delcour à Liège, où s'était tenu le meeting qui avait déclenché la bourrasque sociale de 1886. Longtemps fidèle au POB, Joseph Lahaut n'adhère au PC que dans les années 1930. Il s'éteint en 1943, âgé de quatre-vingt-sept ans sans revoir son fils déporté en Allemagne. La mère de Julien, Joséphine Legrand, ménagère, venait aussi d'un milieu ouvrier avec un père travailleur sur cristal au Val Saint-Lambert et une mère d'origine française, illettrée mais politisée. Joséphine Legrand était catholique, elle avait obtenu de son époux que leurs enfants soient baptisés et fassent leur communion. Julien a donc dû suivre le catéchisme car son père respectait les idées de sa mère et faisait confiance à son fils pour effectuer un choix philosophique une fois adulte. Julien Lahaut a fait preuve pendant toute sa vie d'une grande tolérance à l'égard de la religion. Il vivait dans le milieu ouvrier wallon qui en général avait rompu avec l'Église mais pas avec des croyances parfois étonnantes. Chez des militants communistes on pouvait voir à côté d'un buste de Lénine, une image de sainte Thérèse de Lisieux, talisman contre la tuberculose. Ou encore cet exemple d'une militante communiste adepte du père Antoine, personnage charismatique à la charnière du dix-neuvième et du vingtième siècle auquel on prêtait des pouvoirs de guérisseur, fondateur d'un culte antoiniste qui eut quelques succès dans les milieux populaires. Un peu comme dans La Mère de Gorki, Joséphine Legrand était réticente à l'engagement. Elle reprochait à son fils de prendre des risques. Mais lors de son incarcération en 1913, au retour d'une visite à la prison Saint-Léonard, elle prend alors son parti et le défend face à une institutrice qui tenait des propos désobligeants à son égard. Elle transforme ainsi en fierté le sentiment de honte qu'elle avait éprouvé en voyant son fils écroué comme un criminel. Avant la Première Guerre mondiale l'enseignement n'est pas obligatoire. Quelques lois, souvent mal respectées, interdisent le travail des enfants, pourtant les parents de Julien tiennent à son instruction. À cinq ans il fréquente l'école maternelle, et après avoir terminé l'école primaire communale, il entre à l'école industrielle. Toutefois, à quatorze ans, il se lance dans la vie professionnelle et devient chaudronnier, comme son père, dans une petite usine à Renory entre Seraing et Liège. Ensuite, il est embauché chez Cockerill, la plus grande entreprise de la région. À l'époque, les établissements John Cockerill, depuis 1842 société anonyme contrôlée par la Société Générale, s'occupent de sidérurgie, de construction mécanique et possèdent des houillères. Là, Julien Lahaut est en contact avec le prolétariat industriel clandestinement organisé. Il devient militant syndical, distribue des tracts, discrètement, pour échapper à la vigilance du personnel de maîtrise et de la gendarmerie. À dix-huit ans, grand et musclé, la voix forte, Julien Lahaut est au premier rang des métallurgistes dans la grève de 1902. Il faut se replacer dans le climat de l'époque. Le puissant mouvement de 1886 avait ébranlé la Belgique bourgeoise. À partir de 1894, le système électoral censitaire qui réservait le droit de vote aux riches est aboli et remplacé par une machinerie complexe où tout homme de vingt-cinq ans devient électeur mais une voix ou deux supplémentaires sont attribuées à des personnes instruites (instituteurs ou titulaires d'un diplôme d'humanités) ou à des chefs de familles aisées. Cette manière de voter favorise, dans les faits, le parti catholique qui organise en son sein la collaboration des classes. La «vieille droite» de l'aristocratique et bourgeoise Fédération des Cercles mène le jeu et laisse une petite place à la «jeune droite» représentant le mouvement ouvrier chrétien naissant. Les gouvernements catholiques jettent les bases d'une timide législation sociale : repos dominical, interdiction de faire travailler les femmes et les enfants la nuit et dans le fond des mines, fixation et relèvement de l'âge minimum pour commencer à travailler, etc. La timidité de ces mesures devant l'immensité des besoins et des revendications ouvrières, conduit d'ailleurs à des scissions comme celle de Daens à Alost et de la Démocratie chrétienne à Liège. Mais, d'élection en élection, la majorité de droite se maintient. Contre ce «vote plural» profondément injuste, le POB et sa Commission syndicale organisent des grèves générales pour réclamer le suffrage universel masculin pur et simple, dans le but de conquérir une majorité parlementaire qui vote des lois sociales comme celle des huit heures, à savoir quarante-huit heures par semaine, puisqu'on travaillait le samedi, au lieu d'une durée indéterminée généralement comprise entre soixante et septante-deux heures. Les grèves étaient donc à la fois politiques et sociales. La législation qui interdisait les syndicats avait été abrogée mais le code pénal empêchait les «piquets de grève» et permettait de poursuivre les «meneurs» en cas d'émeute, de voies de faits, d'atteintes à la propriété. L'orateur à la tribune, devant une foule, pouvait donc être condamné pour un pavé lancé dans une vitrine par n'importe qui, y compris un provocateur. Il faut remarquer qu'aujourd'hui, l'interdiction des piquets de grève ne figure plus dans la loi pénale. Ce qui n'empêche pas le patronat de recourir à des tribunaux civils pour briser les grèves par des astreintes. Quant à la législation contre les «meneurs», elle est toujours en vigueur et quelquefois appliquée par les parquets. En 1902, les gendarmes interviennent contre les grévistes à Seraing. La garde civique - bourgeois et petits-bourgeois effectuant un service armé de maintien de l'ordre - tire sur des manifestants à Liège. La répression s'abat sur les ouvriers de Cockerill. Les plus en vue sont congédiés. Julien Lahaut en fait partie. Le syndicat est anéanti. Les métallos cotisent à la caisse des mineurs et se replient sur des sociétés théâtrales, des clubs cyclistes ou des équipes de football pour garder le contact. Julien Lahaut retrouve du travail au Val Saint-Lambert en 1905. Avec Joseph Bondas, il crée un nouveau syndicat «Relève-toi» qui se développe, crée des sections dans de nombreuses entreprises, fédère les ouvriers du fer et de l'acier et deviendra plus tard la Centrale des métallurgistes. Julien Lahaut combat les caisses d'aide mutuelle créées par le patronat et administrées par des employés à sa dévotion. Cet embryon de mutualités professionnelles servait de contre-feu à la création des mutuelles socialistes qui constituaient la porte d'entrée au syndicat. Les ouvriers les avaient baptisées «caisses ô robètes», autrement dit caisses à lapins! On cherche noise à Julien Lahaut. Pourquoi pas? dans son numéro du 14 avril 1932 rappelle une anecdote. Il était accusé de malthusianisme. Il donnait des conseils à ses compagnes de travail pour éviter les grossesses non désirées. On le soupçonnait de détenir sur son lieu de travail des ouvrages sur la question. Son armoire est donc forcée et ses livres disparaissent. Il attaque ses patrons au Conseil des Prud'hommes (l'ancêtre du tribunal du travail) mais est débouté faute de produire des témoins. Il déclare : «Je sais désormais que je devrai prendre la précaution de convoquer des témoins avant qu'on vide mes armoires, mais je demande à être également averti du jour et de l'heure auxquels on viendra me cambrioler». Julien Lahaut, pionnier du planning familial : un aspect ignoré de sa personnalité. En 1908, une grève dure éclate au Val Saint-Lambert, motivée par les retenues sur salaire opérées par le patronat. Julien Lahaut est bien sûr licencié. Mais il continue le combat de l'extérieur, multipliant les meetings. «Relève-toi» est devenu un syndicat puissant. Julien Lahaut est élu secrétaire permanent, poste rémunéré qu'il occupera jusqu'à son exclusion en 1922. En 1913, Julien Lahaut et Gérardine Noël se marient. Ils formeront un couple sans enfant, d'une solidité à toute épreuve. Gérardine mène une existence de ménagère dans l'ombre de son époux. Toute sa vie elle sera son soutien logistique et moral. Elle sera témoin de son assassinat et lui survivra longtemps, jusqu'en 1970. Elle est inhumée à ses côtés sous le monument funéraire du cimetière de Seraing. La même année, le POB déclenche la dernière grève générale pour le suffrage universel. Commencée le 14 avril, elle culmine le 22 avec cent mille grévistes dans la région liégeoise et au moins quatre cent mille pour toute la Belgique. Elle rebondit le 1er mai. Le gouvernement s'engage à entamer une révision de la Constitution. Pendant cette grève, Julien Lahaut renonce à son salaire de permanent. La répression s'abat une fois de plus. Le secrétaire des métallurgistes est arrêté, incarcéré à la prison centrale de Liège qui devait son nom à la porte donnant sur le faubourg Saint-Léonard. Remplacée par celle de Lantin, elle a été rasée.
Gérardine «Gérardine Noël a connu Julien Labaut quand elle avait quinze ans. Il a été le seul homme de sa vie. Modeste, douce et effacée, elle s'est consacrée à lui tout entière. À ses côtés, elle a connu la gêne, parfois la misère. A chacune de ses sorties de prison (il a été arrêté des dizaines de fois), il trouvait en rentrant chez lui la maison bien tenue, la table mise, et le sourire tranquille de Gérardine qui l'attendait. Elle l'a attendu ainsi pendant les quatre années de sa déportation en Allemagne, sans se plaindre jamais. Elle disait à ses amies : «Tu ne peux pas f'imaginer comme il me manque. Il n'était pas souvent ici, mois c'est un homme qui tient tant de place à la maison». Elle l'a vu abattre sous ses yeux. Il est mort dans ses bras. Son sang coulait sur ses mains caressantes. Elle pleurait doucement et n'a rien dit car il n'y a pas de paroles pour exprimer une telle douleur. Ils travaillaient tous deux au Val Saint-Lambert, c'est là qu'ils se sont vus en 1907. L'année suivante au moment de la grève, ils ont lutté l'un comme l'autre et ont été congédiés le même jour, ça les a rapprochés. Gérardine avait 16 ans. Julien en avait 24. Ils se sont liés. Ce furent de longues fiançailles, il faut de l'argent pour se mettre en ménage. Quand elle a eu 21 ans, le 12 août 7973, ils se sont mariés. Quelques semaines avant son mariage, c'avait été la grande grève pour l'égalité politique où Julien fut jeté en prison. Elle l'avait attendu sans mot dire.» Bob Claessens, Julien Lahaut, une vie au service du peuple, Bruxelles S.RE.s.d. p.6
EN RUSSIE, Quand la guerre éclate en 1914, Julien Lahaut n'est certainement pas au courant des thèses de Lénine condamnant la guerre impérialiste. On peut toutefois s'étonner qu'un dirigeant syndical tourne le dos au pacifisme ouvrier. Au lieu de «appliquons la grève aux armées, crosse en l'air rompons les rangs» comme il le chante dans l'Internationale, Lahaut s'engage. Attitude conforme à celle du POB, son parti, en 1914. Rien n'oblige ce jeune marié à aller risquer sa vie. Il appartient à une classe d'âge où le service militaire faisait l'objet d'un tirage au sort. Seuls les malchanceux étaient appelés. Lui, avait eu de la chance. La motivation profonde de Julien Lahaut relève probablement du sentiment de révolte contre l'injustice et la barbarie. La Belgique, petit pays neutre, ne menace personne et ne demande qu'à vivre en paix. L'Empire allemand l'attaque. Son objectif c'est la France mais la Belgique est sur son chemin et elle résiste. La place de Liège lui barre la route et inflige une humiliation à son avant-garde. Il faut attendre l'arrivée d'une artillerie lourde pour venir à bout des forts qui entourent la ville. En attendant, des objectifs civils sont pilonnés. Visé est détruite et sa population décimée. Le 20 août, à Liège, le quartier de l'université et une partie d'Outremeuse sont incendiés et des civils fusillés. Dinant et la bibliothèque de l'université de Louvain sont réduites en cendre. Les Allemands désignent des notables comme otages à exécuter en cas de résistance armée des civils, parmi eux des bourgmestres, des curés, des syndicalistes, dont semble-t-il, Julien Lahaut. Beaucoup d'ouvriers refusent de travailler pour l'occupant, fuient vers la France ou se réfugient aux Pays-Bas avant de passer en Angleterre comme travailleurs ou de s'engager dans l'armée belge repliée derrière l'Yser. Le POB appelle à la mobilisation contre le militarisme prussien et conclut avec les catholiques et les libéraux un pacte d'union sacrée, ce qui lui vaut d'entrer au gouvernement. Dans son autobiographie manuscrite retrouvée par José Gotovitch dans les archives du Komintern, Julien Lahaut écrit ceci : «J'ai fait la guerre comme volontaire, puis comme otage en août 1914 à Seraing, j'ai quitté la Belgique en septembre, passé de Hollande en Angleterre puis en France pour être ensuite envoyé sur le front belge avec le corps des autos blindées».
Trois Liégeois bien différents : Marcel Thiry, intellectuel, poète, futur homme politique wallon, le champion de lutte Constant le Marin, de son vrai nom Henri Herd et Julien Lahaut se retrouvent ensemble dans un corps d'élite, exclusivement francophone. Leur arme est à l'avant-garde de la modernité, blindée et motorisée : un bataillon d'autocanons et d'automitrailleuses. Ils sont volontaires. Julien Lahaut est carabinier-cycliste : il accompagne les lourds véhicules de fabrication belgo-française, montés sur pneumatiques, renforcés de plaques d'acier chromé, et armés soit d'un canon léger soit de deux mitrailleuses, avec quatre hommes d'équipage à bord. Cette unité, commandée par un major, ne dépasse pas un effectif de trois cent cinquante militaires. Elle est réunie et entraînée près de Paris, destinée au front de l'Yser. Mais, dans le cadre de l'aide à l'allié russe en difficulté, elle est envoyée en automne 1915 dans l'Empire des tsars. Partie sur un navire anglais, elle débarque à Arkhangelsk sur la mer Blanche, passe par Petrograd, la capitale. L'unité fait du tourisme au Palais d'Été, défile devant le tsar, passe son premier hiver russe dans des conditions confortables. Déjà sur le bateau avec Hyacinthe Housiaux comme chef d'orchestre, Julien Lahaut monte une revue basée sur les mélodies du folklore wallon comme le célèbre pastiche de l'Ave Maria : Mareye Clap Sabots. Le chœur des autocanons se produit avec succès au palais de Peterhof devant l'élite des officiers tsaristes. Puis c'est le baptême du feu sur le front de Galicie à la frontière de l'Empire austro-hongrois. Les Belges subissent des pertes, morts et blessés. Le bruit court à Seraing que Julien Lahaut a été tué. Mais il n'en est rien et la nouvelle sera officiellement démentie. La division russe qu'ils appuient est presque anéantie. La discipline devient rigide, l'intendance ne suit pas et le mécontentement règne dans la troupe. La nouvelle de la révolution de février arrive sur le front. Un document de la police belge indique que Julien Lahaut était présent à Petro-grad lors de l'avènement du gouvernement de Kerenski. C'est probablement une erreur puisque Julien Lahaut écrit lui-même que de «1915 à 1917 nous passons de Galicie en Bucovine». Le ministre socialiste belge, Emile Vandervelde, chef de file du POB, en mission dans la nouvelle Russie avec Henri de Man et Louis de Brouckère, vient rendre visite à ses compatriotes en été 1917 pour prêcher la guerre jusqu'au bout. Le gouvernement provisoire veut gagner la guerre. Les Russes montent au front derrière des drapeaux rouges mais leurs offensives sont des échecs et ils reculent dans l'anarchie. Les Belges voient des cavaliers kirghizes d'Asie centrale fusiller des déserteurs russes, des soldats russes piller des quartiers juifs et passer leurs habitants au fil de la baïonnette. La révolution d'octobre porte les bolcheviks (communistes) au pouvoir. Le gouvernement de Lénine et Trotski arrête les combats. Le corps des autos-canons-mitrailleuses (ACM) se replie sur Kiev. Julien Lahaut peut alors être témoin des luttes acharnées qui opposent les différents camps : les nationalistes ukrainiens réunissent une «Rada» (assemblée) qui proclame l'indépendance de l'Ukraine et écrase la résistance d'un quartier ouvrier partisan des soviets. Quelques jours plus tard, les «Rouges» arrivent et massacrent les nationalistes. Les Austro-Allemands avancent, en vertu de la paix de Brest-Litovsk. En février 1918, il est temps pour les Belges de partir. Ils détruisent leurs véhicules, cachent quelques mitrailleuses qu'ils emportent et gardent leurs armes légères. Profitant des faveurs d'un général rallié aux «Rouges» qui les connaissait depuis le front de Galicie, ils obtiennent un sauf-conduit et un train pour se rendre à Moscou. L'ordre de rejoindre Arkhangelsk pour rentrer au plus vite sur le front occidental parvient à l'unité, mais les hommes de troupe préfèrent se replier par la Sibérie. Dans la gare de Bouïn qui est un nœud ferroviaire, les soldats fraternisent avec le soviet local qui leur conseille de se débarrasser de leurs officiers. Quelle a été l'attitude de Julien Lahaut?
Il n'y a aucune certitude. Frédéric Legrand qui n'était pas présent, mais qui a revu Julien Lahaut par la suite affirme qu'avec lui ce sont vingt-cinq Belges qui sympathisent avec les bolcheviks. La suite de l'histoire prouve que Julien Lahaut ne s'est pas mis en porte-à-faux par rapport aux officiers belges. En mars 1918, il est promu 1er maréchal des logis-chef, le grade le plus élevé auquel il pouvait aspirer comme sous-officier. Ses états de service notés dans son dossier militaire sont extrêmement élogieux. On y lit qu'il a porté secours à ses camarades de combat au péril de sa vie, brisé l'encerclement de son peloton en traversant un terrain violemment bombardé, couvert par une résistance acharnée la retraite d'une batterie d'artillerie. Aucune critique concernant son attitude ou mention d'indiscipline. Au contraire, il reçoit la Croix de Saint-Georges 4ème classe (décoration russe), la Croix de Guerre avec Palmes, la Médaille de la Victoire et la Médaille commémorative de la guerre 1914-1918. La nouvelle du blocage de la route du nord par les Allemands coupe court à l'agitation. Ce sera le transsibérien. Il y aura encore quelques incidents avec des soviets locaux qui remettent en cause le laisser-passer, mais le corps des ACM arrive à la frontière où il est pris en charge par un train chinois qui le conduit à Vladivostok, port russe tenu par les «Blancs», De là, il embarque pour San Francisco et traverse les États-Unis, en train de luxe, chaleureusement reçu et acclamé à chaque étape. Enfin il passe l'Atlantique. Après ce tour du monde, le corps des ACM est dissout à Paris en juillet 1918. Julien Lahaut d'abord en congé, est définitivement démobilisé le 15 avril 1919. Il rentre chez lui et reprend son travail de secrétaire du syndicat des métallurgistes. Selon des témoignages, il apparaît souvent en uniforme. Par fierté ou parce qu'il manquait de vêtements civils? Il a vécu une formidable aventure : il a assisté à la révolution russe et, contrairement à Marcel Thiry, à Constant le Marin et à bien d'autres, il revient avec la conviction que Lénine avait raison. Mais de quand date sa conversion de socialiste patriote en révolutionnaire internationaliste et quelles en sont les motivations profondes? Le mystère reste entier. mission à Petrograd comme mécanicien pour les véhicules de combat. Au moment de la Révolution d'octobre, il prend parti pour les bolcheviks et avec une délégation belge rencontre Lénine. Il se met au service de l'armée rouge et participe à la guerre civile. Considéré comme déserteur, il ne peut rentrer en Belgique et devient citoyen soviétique. A plusieurs reprises, il rencontre Julien Lahaut de passage à Moscou. En 1927, il publie en français, sous le pseudonyme de Pierre Legrand, avec un petit groupe de bolcheviks belges, une brochure témoignant de leur participation à la révolution. COMMUNISTE - Table de matières Sympathisant de la Russie soviétique, Julien Lahaut est partisan de l'adhésion du POB à la IIIème Internationale. À Seraing, il obtient le soutien d'un tiers de l'assemblée locale. Malgré l'échec de son orientation, il ne rejoint pas le PCB à sa fondation en 1921. Il reste secrétaire permanent du syndicat des métallurgistes affilié au POB. Pendant les années 1919 et 1920, le mouvement ouvrier connaît un prodigieux développement. Le Parlement instaure d'urgence le suffrage universel des hommes à vingt et un ans. Ce viol des procédures constitutionnelles étant justifié par la crainte d'une révolution. Une masse d'ouvriers jusque-là incrédules ou timorés se syndiquent. Julien Lahaut anime une série de grèves pour arracher la journée de huit heures dans les usines avant même le vote de la loi. Mais en 1921, le vent tourne : le chômage frappe les travailleurs et le franc est menacé par l'inflation. Le POB adopte alors un profil bas pour s'accrocher au gouvernement. Julien Lahaut, le syndicaliste radical, est devenu un gêneur. La grève d'Ougrée-Marihaye - Table de matières «Laissez-le donc faire, il va se casser les dents et nous en serons débarrassés», voilà la pensée que Pierre Tilly attribue aux chefs syndicaux liégeois quand Julien Lahaut pren la tête de la grève des travailleurs d'Ougrée-Marihaye, une grande entreprise sidérurgique du bassin sérésien possédant ses propres houillères. La grève concerne donc des métallurgistes et des mineurs qui se défendent face à une contre-offensive patronale, en période de récession économique, après les grandes avancées de 1919-1920. La grève va durer neuf mois au cours de l'année 1921. Pour tenter de la briser, la direction fait appel à une «Union civique» composée d'étudiants et de fils de la bourgeoisie. La gendarmerie disloque les piquets de grève au prix de scènes de violence. Les travailleurs tiennent bon avec le soutien de leurs épouses. Au bout de sept mois, la direction syndicale propose la reprise. Les grévistes refusent. La fédération coupe alors les vivres et ne paye plus les indemnités de grève. La faim menace les familles privées de ressources. Julien Lahaut prend alors l'initiative, comme cela s'était déjà fait à Verviers avant 1914, de trouver des familles d'accueil pour les enfants des grévistes. Il y a dans tout le pays un tel mouvement de solidarité que l'on voit se proposer plus de familles qu'il n'y a d'enfants à accueillir. C'est à cette occasion qu'est prise à la passerelle de Seraing la célèbre photo des enfants qui s'en vont sous le calicot «les patrons sont des méchants». La presse syndicale se déchaîne alors... contre les grévistes, «manipulés par des noyauteurs communistes». me Bedaux Le système Bedaux est la bêie noire du mouvement ouvrier pendant les années 1920. La réduction radicale du temps de travail avec l'introduction de la journée de huit heures, quarante-huit heures par semaine au lieu des soixante à septante-deux heures d'avant 1914, amène le patronat à récupérer ce qu'il a dû céder par des gains de productivité inspirés du taylorisme. Pas un geste inutile, pas une seconde d'arrêt une heure vaut soixante points. L'ouvrier qui a soixante sur soixante reçoit son salaire normal. S'il fait plus que soixante points il est récompensé par des primes. S'il fait moins, il est mal noté et risque le licenciement. Au fur et à mesure que les ouvriers se surpassent et que les cadences augmentent, il est de plus en plus malaisé de dépasser les soixante points. Un tel système est difficile à contrôler et n'est pas négociable.Un pas de plus est franchi lorsqu'un provocateur armé est envoyé au piquet de grève. Julien Lahaut est arrêté. Joseph Bondas et Isidore Delvigne, dirigeants syndicaux acquis au réformisme et au partenariat social, en profitent pour stopper le mouvement. De sa prison, Julien Lahaut envoie sa démission comme secrétaire permanent. Ce n'est pas assez, car les dirigeants droitiers veulent son exclusion pure et simple. Ils vont l'obtenir. Julien Lahaut fait l'objet d'une campagne de dénigrement menée dans la presse syndicale et par la diffusion massive d'une brochure rédigée par Joseph Bondas et ses amis. Le but est de justifier son exclusion. Julien Lahaut est accusé d'indiscipline : il n'a pas appliqué le mot d'ordre d'arrêt de la grève au bout de sept mois et, au contraire, il a fait voter sa poursuite par l'assemblée des ouvriers. En outre il a dévoilé devant la base les velléités capitulardes de Joseph Bondas et d'Isidore Delvigne.
La question est posée au Conseil général du POB. Arnold Boulanger, directeur de l'Union des coopératives de Liège, est le seul à soutenir Julien Lahaut à ce moment critique de sa vie. Arnold Boulanger est un exemple de socialiste «de gauche». Il devient président de la Fédération nationale de la Libre pensée et président de la régionale liégeoise des Amitiés belgo-soviétiques ainsi qu'un ardent organisateur de la solidarité avec l'Espagne républicaine. Il démissionne du POB en 1939. Après la guerre, il devient sénateur communiste. Louis de Brouckère, autre représentant du courant «marxiste» avait des sympathies pour Julien Lahaut. Il aurait aimé trouver une solution mais souhaitait que Julien Lahaut se modère. Une commission d'arbitrage est nommée. Elle est composée de Vandervelde, président du POB, en personne, de Brouckère, plutôt enclin à la conciliation et de Martel. Elle se réunit pendant deux jours pour entendre les accusations de Delvigne, Bondas, Dejardin, Deflandre et Merlot. Lahaut se défend fermement. Elle conclut au maintien de Lahaut dans ses fonctions mais à condition de ne plus attaquer à l'avenir d'autres militants en dehors des instances régulières du syndicat ou du POB. C'est dans ce climat que se réunit l'assemblée générale de la coopérative de Seraing dont Julien Lahaut est administrateur. Cette coopérative importante contrôle douze magasins. Julien Lahaut critique la gestion du Comité régional sortant et présente une liste de nouveaux candidats qui gagne haut la main l'élection. Les «lahautistes» ont pris le contrôle des coopératives socialistes sérésiennes. C'en est trop. Le Conseil général du POB prononce son exclusion. Malgré tout, cette exclusion provoque des remous dans les centrales régionales des métallurgistes et des mineurs. Les deux centrales tiennent un congrès extraordinaire à Liège et des réunions dans les Maisons du Peuple. Les travailleurs exigent la présence de Julien Lahaut. À Seraing. D'après son témoignage, plus de trois mille ouvriers se rendent à une séance qui durera toute une nuit pour se terminer par une motion hostile à son exclusion et réclamant, au contraire, la destitution des dirigeants. Mais rien n'y fait. Le vieux tribun Célestin Demblon s'insurge, tout en approuvant la stratégie syndicale de Julien Lahaut. À la direction du POB qui l'adjure d'abandonner son bolchevisme, Demblon réplique par une cinglante critique de la politique du POB et le quitte pour le PCB. Il critique particulièrement la motion Mertens qui exclut les communistes des syndicats. Chevaliers du Travail - Table de matières Exclu de son parti et de son syndicat, Julien Lahaut fonce. Avec ses fidèles il fonde un «Comité de Défense», en vérité une organisation syndicale de mineurs et de métallurgistes qui le désigne comme secrétaire à la propagande. Les coopératives de Seraing y sont rattachées sous le nom de «Groupe économique». Le Comité de Défense prend le titre de «Chevaliers du Travail». Un congrès se tient à Seraing avec des organisations syndicales isolées qui existaient déjà dans le Hainaut. Le tout fusionne sous le nom des Chevaliers du Travail. La nouvelle fédération décide de s'affilier à l'Internationale des syndicats rouges (Profintern en russe abrégé) et désigne Julien Lahaut comme délégué au IIIème congrès tenu à Moscou en 1924. Il participera également au IVème en 1927 et au Vème en l930. Le 25 octobre 1923, socialistes et «lahautistes» s'affrontent à coups de poing devant la Maison du Peuple. Le 30, le bourgmestre Joseph Merlot prend un arrêté d'interdiction d'un meeting des Chevaliers du Travail. Ceux-ci répliquent en dénonçant «l'abominable gredin, le renégat Merlot». Ambiance! été à la fin du dix-neuvième siècle. Ce nom choisi par des groupes de mineurs à Charleroi et au Borinage, puis à Seraing avec Julien Lahaut, est un simple étendard, il n'implique ni rituel ni filiation avec l'ordre original. _____________________ Devenir communiste - Table de matières En 1923, le PCB prend position contre l'occupation de la Ruhr par l'armée belge qui accompagne les Français pour se faire payer en nature (charbon et acier) les dettes de guerre que l'Allemagne n'honore pas. Cette ligne politique conforme aux vœux de l'Internationale communiste est considérée comme antipatriotique par le parquet. Un procès pour un supposé grand complot ourdi par les communistes pour renverser les institutions de l'État belge est monté contre les dirigeants communistes dont beaucoup sont incarcérés dans l'attente du jugement. Julien Lahaut fait partie des accusés, alors qu'il n'est pas un adhérent du PCB. Un rapport de l'officier judiciaire en charge du dossier est assez élogieux à son égard. Ses états de service pendant la guerre sont mis en évidence. Des documents ont été saisis chez lui, les uns qui soutiennent son attitude courageuse pendant la grève d'Ougrée-Marihaye, les autres qui contiennent des menaces anonymes et des injures. S'y trouvait également une correspondance avec les mineurs du Borinage, mais rien concernant un complot communiste. La direction emprisonnée du PCB confirme que Julien Lahaut n'est pas membre du Parti communiste. Pendant le procès, il annonce sa demande d'adhésion. Cinquante-quatre perquisitions, dix-huit mandats d'arrêt ne permettent pas de prouver l'existence d'un projet séditieux, ni même que le PCB reçoit de l'argent russe et allemand. Sur proposition d'Emile Vandervelde, le POB lors de son congrès de Pâques, vote une résolution quelque peu ironique : il proteste contre le régime d'instruction secrète et les abus de détention préventive, constatant que dix-sept des cinq cent quatorze membres du PCB sont en prison. Joseph Jacquemotte démontre que c'est le simple fait d'appartenir au PCB qui est incriminé. Van Overstraeten fait un long discours révolutionnaire au cours duquel il affirme l'appartenance du PCB à la IIIème internationale et se demande pourquoi on lui reproche ses voyages à Moscou, alors que personne ne s'inquiète des déplacements du cardinal Mercier à Rome. La baudruche se dégonfle et le procès tourne à la déconfiture de l'accusation. Les communistes sont défendus par les avocats socialistes Jules Destrée, Paul-Henri Spaak et Henri Rolin. Julien Lahaut et les autres accusés sont relaxés. L'ascension de Julien Lahaut au PCB est fulgurante puisque l'apport des «lahautistes» est plutôt de l'ordre de la fusion que de la simple adhésion. Ses amis contrôlent à la fois les Chevaliers du Travail, le Comité de Défense et son Groupe économique. Le rapport du Groupe économique publié en 1924, précise qu'il fut créé suite à l'exclusion de plusieurs camarades de l'Union communale du POB. Il ne s'agissait pas seulement d'une exclusion politique puisque même l'entrée à la Maison du Peuple était refusée à Julien Lahaut et à ses amis. C'est pourquoi ils ont ouvert un local dans un café, 25 rue Chapuis. Ils ont ensuite déménagé dans un lieu plus grand, au n°36. Les quarante membres fondateurs, tous des hommes, siègent sous le portrait de Lénine. Pour devenir membre, il faut acheter une action de coopérateur (vingt-cinq francs), payer un droit d'entrée de cinq francs et être syndiqué (aux Chevaliers du Travail). Une cotisation hebdomadaire de un franc alimente la caisse de mutuelle. Vingt-quatre mille familles ont recours aux services du Groupe économique qui possède des magasins, vend des bons à échanger dans une liste impressionnante de commerces agréés, dispose de camionnettes de livraison et même de trois voitures qui peuvent être louées par exemple pour des excursions du dimanche.
Cette prospérité ne durera pas. Mauvaise gestion? Excès de générosité par solidarité avec des grévistes? Julien Lahaut entre au Comité central et immédiatement au Bureau politique dès 1924. Van Overstraeten, fondateur du PCB avec Joseph Jacquemotte, s'oppose à son accession au secrétariat. Il perd ces deux postes en 1928, au moment du raidissement sectaire de l'IC et du PCB. Il les retrouve officiellement en 1934 suite à sa remontée en force avec Joseph Jacquemotte, amorcée dès 1931. En 1926, Julien Lahaut est élu conseiller communal à Seraing, ce mandat public renforce sa position personnelle. Le militant communiste - Table de matières La peur des traîtres a alimenté une certaine paranoïa chez les communistes. Beaucoup de militants honnêtes et sincères ont été eux-mêmes victimes de cette psychose, mais les traîtres n'étaient pas des mythes. C'est ainsi que Claude Cous-sement a retrouvé dans les archives de la direction générale de la Sûreté française, le rapport d'un mouchard infiltré dans le PCB. C'était donc un mouchard doublé d'un espion puisqu'il travaillait à faire du renseignement dans un pays étranger. Les autorités françaises avaient l'œil sur le mouvement ouvrier en Belgique. C'est grâce aux archives du Quai d'Orsay que les historiens ont pu reconstituer précisément le début des événements de 1886 à Liège. Le mouchard écrit dans un rapport rédigé en 1925 : «Le torchon brûle entre Van Overstraeten, partisan de Trotsky et Moscou-Paris», «Van Overstraeten, jouisseur fromagiste, s'oppose à l'ascension des autres : Jacquemotte sincère mais poseur, Lesoil le plus sincère et Lahaut arriviste». Voilà comment la direction du PCB était perçue par un infiltré. Le fait est que Van Overstraeten s'en ira à la tête des trotskistes suivi de Lesoil, leader d'une section des Chevaliers du Travail à Charleroi. Léon Lesoil laissera son nom à une association culturelle trotskiste. War Van Overstraeten retournera à ses premières amours : la peinture (c'est un peintre réputé) et le christianisme. Des années après, dans un rapport classé top secret conservé à l'IC reprenant des avis de Frédéric Legrand, Joseph Jacquemotte, Andor Berei et Xavier Relecom, le portrait de Julien Lahaut est contrasté. «Meilleur orateur du PCB, courageux, énergique, dévoué, très populaire parmi les ouvriers wallons, exerce son autorité dans sa région mais n'en a pas au sein du parti, manque de formation politique, ne sait pas former des cadres, néglige son travail parlementaire, garde des convictions social-démocrates, ne sait ni organiser ni gérer, dépense beaucoup, vit modestement dans sa famille mais a des aventures à côté...». C'est la seule allusion de ce type, peut-être une simple malveillance, dans la documentation concernant Julien Lahaut. En conclusion : «II exécute tout ce que lui confie le parti, mais il essaye d'appliquer ses propres méthodes... Il faut être patient pour travailler avec lui». Un autre rapport, daté de 1936 souligne sa «grande popularité dans la population et aussi au Parlement», mais se plaint qu'il y «intervient trop rarement, qu'il ne s'intéresse pas à la situation du parti dans sa propre région, que sa formation politique est quasi nulle... toutefois, il est discipliné et applique les décisions du BP». Une autre note de l'IC loue son «courage physique, ses qualités de meneur», mais déplore «sa formation politique superficielle et la faiblesse de son travail parlementaire : Julien Lahaut improvise, il faudrait désigner quelqu'un pour l'aider à écrire ses discours et mieux répartir le travail avec Joseph Jacquemotte». Voilà donc un portrait de Julien Lahaut vu de l'intérieur du PCB et de l'IC.
Couverture du dossier Lahaut aux archives du Komintern Julien Lahaut se rend plusieurs fois en URSS, pays qu'il connaît bien pour l'avoir parcouru pendant la première guerre mondiale. D'abord comme délégué au Profintern, puis comme invité en sa qualité de dirigeant communiste. En 1925, les Chevaliers du Travail achètent leur local, le Théâtre de Seraing pour trois cent vingt-cinq mille francs. En 1928 le propriétaire exige les cent cinquante mille qu'ils lui doivent encore. Les Chevaliers du Travail risquent l'expulsion. Julien Lahaut demande à Lozovski, responsable international des syndicats rouges, un prêt urgent avec comme argument que c'est le seul local communiste en Belgique et que Seraing est une place forte rouge. Le théâtre est sauvé. Pendant des années ce sera le haut lieu des réunions communistes. Ce théâtre servira de chapelle ardente lors des funérailles de Julien Lahaut. Dans ces locaux récupérés plus tard par un commerce, une toile peinte qui couvrait le dessus de la scène a été découverte en 1999. Elle représente Lénine et le peuple porteur de drapeaux communistes. Elle est conservée à 1THOES. Dans ses souvenirs, le grand cinéaste soviétique Eisenstein se remémore d'avoir «présenté son film Octobre au Théâtre de Seraing-la-Rouge dans la banlieue liégeoise, en 1930». Il abritait aussi «II Riscatto», l'association des Italiens antifascistes en Belgique. En 1928, Julien Lahaut est frappé par la maladie. Atteint d'une broncho-pneumonie. Le médecin pronostique une issue fatale. Mais animé par la volonté de vivre et avec le soutien de sa femme ainsi que de ses proches Julien Lahaut tient le coup. Il est alors invité à poursuivre sa convalescence à Sotchi sur la mer Noire, au pied du Caucase.
Dans ce lieu jouissant d'un climat exceptionnellement doux, le parti et les syndicats soviétiques avaient implanté de nombreux «sanatoriums» qui étaient autant des maisons de vacances que des instituts de santé. Les cadres soviétiques, les travailleurs méritants et de nombreux hôtes étrangers venaient s'y reposer. Au cours de ce voyage, Julien Lahaut rencontre le frère de Lénine qui lui raconte que Nadejda Kroupskaïa veuve du grand révolutionnaire se souvenait de son passage dans la région liégeoise en 1902. Il y retrouve également le forgeron hennuyer Frédéric Legrand qu'il avait connu pendant la guerre. Après sa participation à la révolution, il était resté à Moscou comme professeur de pratique professionnelle. Il appréciait beaucoup les conversations en wallon avec son camarade liégeois et lui faisait part de sa connaissance de l'URSS. À chaque visite à Moscou, Julien Lahaut reverra amicalement Legrand. De son côté, ce dernier fournit au Komintern des renseignements sur son visiteur! Julien Lahaut revient de ce voyage avec le seul bijou qu'il possédait, outre son alliance : une très symbolique étoile rouge en rubis avec un marteau et une faucille en or. Ce séjour en URSS renforce son admiration pour les réalisations soviétiques et approfondit son sentiment d'amitié pour le pays de la Révolution d'octobre.
Julien Lahaut effectue encore des séjours en URSS en 1934, 1936, 1937 et 1939, pour participer à des réunions ou pour se soigner. En octobre 1936, juste avant sa propre mort inopinée, Joseph Jacquemotte sollicite pour son collègue «malade et surmené», un mois de cure à Sotchi. En janvier 1936, Julien Lahaut est à Moscou. Il écrit à Dimitrov. Dans le cadre des décisions de l'Internationale communiste, la Centrale révolutionnaire des Mineurs de Belgique (trois mille cinq cents membres) négocie sa fusion avec la Centrale des Mineurs (réformiste) forte de cinquante-cinq mille adhérents. Là où le bât blesse, c'est que la Centrale révolutionnaire est endettée depuis les grèves de 1932. Elle a puisé pour payer des indemnités de grève, cent nonante mille francs dans les fonds d'allocations de chômage qu'elle gérait. Les responsables de la Centrale révolutionnaire ont hypothéqué leurs biens, emprunté à la famille, à des amis. En 1934 le PCB a avancé quarante mille francs mais il reste une dette de nonante mille. Quel scandale s'ils étaient poursuivis pour détournement de fonds publics! C'est pourquoi Julien Lahaut lui demande d'urgence cinquante mille francs et s'engage à faire lever une cotisation spéciale auprès de ses membres pour apurer cette dette avant la fusion. Preuve que l'or de Moscou alimentait les caisses communistes en Belgique? N'oublions pas que les organisations internationales considéraient les organisations nationales affiliées comme des sections locales d'un tout. Ainsi, le syndicat rouge des «peigneux» de Verviers s'était ruiné pour soutenir une grève menée par les travailleurs du textile dans le nord de la France. En 1937, Julien Lahaut demande, apparemment sans succès, un visa permanent pour pouvoir se réfugier en URSS en cas de menace et de levée de son immunité parlementaire vu le nombre de mois de prison qui l'attendent. Comme le nom de Lahaut est transcrit phonétiquement en cyrillique, la retraduction en français dans les archives du Komintern revient parfois sous la forme Laho et même Lao! Ce n'était pas une menace en l'air : Julien Lahaut avait été condamné à des peines de prison pour rébellion en 1935, lors d'un soutien à un piquet de grève à la Linière de Saint-Léonard à Liège et, la même année, lors d'un meeting contre l'Italie fasciste à l'Exposition de Bruxelles. Il était protégé par son immunité parlementaire. Mais fin septembre 1936, le parquet de Liège, prétextant des vacances parlementaires le fait incarcérer à la prison Saint-Léonard. René Delbrouck bouillant jeune parlementaire socialiste subit le même sort. Le numéro spécial gratuit de La Voix du Peuple du 26 septembre 1936 réclame la libération immédiate du député communiste. Il faudra une intervention du président de la Chambre pour mettre fin à cette étrange conception de l'immunité qui ramènerait en prison les députés quand le Parlement ne siège pas. Le 2 octobre Julien Lahaut est libre. Dorénavant son immunité sera respectée malgré une nouvelle condamnation en 1939. Son casier judiciaire sera effacé après la guerre par un arrêté du régent.
Rester communiste? - Table de matières La politique n'est pas un long fleuve tranquille. En 1928, la forte minorité trotskiste emmenée par l'un des fondateurs du PCB, War Van Overstraeten, qui, bien que flamand, avait été élu député à Liège en 1925, se sépare des «stalinistes» majoritaires qui comptent Julien Lahaut dans leurs rangs. En fait, les trotskistes étaient majoritaires parmi les Belges. Ils étaient souvent issus de la première formation communiste baptisée parfois «l'ancien parti» qui avait fusionné en 1921 avec le groupe de Joseph Jacquemotte. Ils avaient un profil qualifié de gauchiste et parfois des attitudes antiparlementaires. La majorité staliniste comme on le disait à l'époque est acquise grâce à la section de la Main-d'œuvre étrangère (MOE) et particulièrement aux antifascistes italiens qui suivent les directives de PIC. Mais le départ des trotskistes ne signifie pas l'abandon d'une orientation sectaire. La nouvelle direction est dominée par des éléments doctrinaires rigides. L'année suivante, PIC adopte la ligne «classe contre classe». Accusé de « réformisme et de légalisme syndical», Joseph Jacquemotte est évincé du secrétariat du PCB. Il conserve toutefois la direction du Drapeau Rouge et exerce son mandat parlementaire. En 1925, le soutien des conseillers communistes, avait permis aux socialistes de constituer une Députation permanente homogène pour gouverner la Province de Liège. Aux élections de juin 1929, la question est à nouveau posée. Le Conseil provincial se compose de quarante-deux socialistes, deux communistes (Julien Lahaut et Ernest Bonvoisin), quatorze catholiques, vingt-cinq libéraux, trois autonomistes de langue allemande. Le Bureau fédéral de Liège est favorable à la reconduction du soutien à la Députation permanente socialiste moyennant l'acceptation par le POB de points de programme concrets comme l'augmentation des subsides provinciaux aux mutuelles, aux caisses de chômage, au logement social, aux écoles professionnelles. C'est le sens de l'intervention de Julien Lahaut au Comité central du 13 juin. Il est soutenu par Joseph Jacquemotte et par le Hutois Joseph Thonet qui deviendra lui-même député permanent communiste en 1936. Mais ils sont combattus par Félix Coenen, le numéro un du PCB, celui qui avait mené la bataille contre War Van Overstraeten et les trotskistes, et d'autres membres du CC encore plus radicaux, comme Georges Van den Boom. Au discours sur la gestion de la province, on leur répond que «la social-démocratie est le véritable principal ennemi de la classe ouvrière», et à l'idée d'une majorité ouvrière, «que les socialistes sont peut-être élus par les ouvriers mais qu'ils constituent le parti ouvrier de la bourgeoisie». Il est reproché aux Liégeois de «se laisser influencer par ce que pensent les ouvriers». La tactique proposée est de présenter à tous les partis un programme provincial relié à des revendications générales et d'annoncer que les communistes ne soutiendront pas ceux qui s'y opposent. Cette motion adoptée par treize voix contre trois et une abstention est encore aggravée par un amendement qui propose de ne pas adresser les propositions communistes «aux organisations social-démocrates». Julien Lahaut est consterné. Il déclare : «C'est une position qui nous mettra dans l'impossibilité de nous présenter devant les ouvriers. Dans ces conditions je n'accepte pas de défendre ce point de vue», et il quitte la séance. Julien Lahaut connaissait bien ses troupes. Même si personnellement, il avait mille raisons d'en vouloir aux socialistes qui l'avaient exclu du syndicat et privé de son emploi, il savait bien que les travailleurs du bassin industriel n'avaient pas clairement choisi leur camp. Beaucoup de socialistes avaient de la sympathie pour Julien Lahaut, pour Joseph Jacquemotte, pour l'URSS. Beaucoup d'électeurs communistes n'auraient pas admis que les élus communistes fassent le jeu de la droite. À y regarder de près, il y avait une frange socialo-communiste qui panachait ses votes en les répartissant entre les deux partis ouvriers jouant sur les trois bulletins de vote : la Chambre, le Sénat, la Province, montrant ainsi leur hésitation ou leur aspiration à l'unité. Félix Coenen et un autre membre du BP sont présents, sur le banc de la presse, à la séance du Conseil provincial qui doit élire les députés permanents. Ils observent. Les deux conseillers provinciaux communistes sont les arbitres. Le mot d'ordre du BP est de quitter la séance en même temps que les partis «bourgeois» pour rendre impossible l'élection d'une Députation permanente homogène socialiste. Les partis catholiques et libéraux souhaitaient une composition à la proportionnelle. Devant le refus du POB, ils quittent la séance suivis des autonomistes germanophones. Le premier député permanent est élu avec quarante-deux voix. Les deux communistes présents se sont abstenus. Les délégués du BP insistent. Le conseiller communiste Ernest Bonvoisin s'incline et s'en va. Julien Lahaut reste et vote une nouvelle fois blanc. Le deuxième candidat socialiste n'est pas élu, le quorum n'étant pas atteint. Le POB négocie alors avec la droite. Cette attitude du PCB provoque l'indignation des militants socialistes. Julien Lahaut déclare qu'elle a fait du tort au PCB. Il adresse au PCB sa démission de conseiller provincial, conseiller communal et de membre du parti! Mais il maintient sa fonction de secrétaire syndical des Chevaliers du Travail. C'est sa source de revenu et la profession qu'il déclare. Une rupture avec Julien Lahaut et ses nombreux partisans, un an après le départ des trotskistes qui étaient presque majoritaires dans le PCB, serait suicidaire pour ce parti. Le temps passe, le Bureau fédéral liégeois refuse la démission de Julien Lahaut et de ses amis. Le Bureau politique du 1er novembre constate que Julien Lahaut poursuit son travail, prend la parole dans des meetings où il défend la ligne. Ses adversaires attribuent cette attitude à son sens de la manœuvre et le dénonce comme un ennemi intérieur. Finalement le BP vote une motion proposant l'exclusion «si Lahaut continue d'intervenir contre le parti». La question est posée à l'Internationale communiste. Julien Lahaut doit justement se rendre à une réunion du Profintern. Le BP estime qu'il ne peut pas représenter tout le parti et qu'il n'est pas efficace. Il décide d'envoyer également Georges Van den Boom, lequel avait une incontestable expérience syndicale et avait adopté une attitude très dure contre Julien Lahaut sur la question du Conseil provincial de Liège. À Moscou, Julien Lahaut et les membres du BP présents s'entendent dire que l'IC n'approuve pas l'idée de son exclusion. Julien Lahaut reste donc communiste mais il ne retrouvera officiellement un poste de direction qu'en 1934. La politique syndicale du PCB est complexe. On peut suivre son évolution dans les copies des documents ramenées de Moscou, accessibles au CArCoB. Le parti exerce son influence sur les Chevaliers du Travail et sur la Centrale révolutionnaire des Mineurs regroupant les anciens Chevaliers du Travail du Hainaut. Il voudrait fusionner ces deux organisations et les faire adhérer collectivement au PCB, sous le seul nom de Centrale révolutionnaire des Mineurs. D'autre part il y a des communistes dans les syndicats du POB, trop peu nombreux pour former des syndicats dissidents. On leur recommande alors de se regrouper en fractions intitulées Opposition syndicale révolutionnaire. La tactique est cousue de fil blanc. Par exemple, pour empêcher l'expulsion d'un antifasciste italien, le PCB propose un texte à faire voter par les syndicats communistes et un autre par les syndicats réformistes. L'objectif est le même, mais dans un cas on dénonce globalement l'inaction des structures syndicales réformistes et dans l'autre seulement leur direction. Les Chevaliers du Travail de Seraing résistent à la fusion au sein de la Centrale révolutionnaire des Mineurs. En 1929, la Commission syndicale du PCB souhaite que les Chevaliers du Travail de Seraing adhèrent à la Centrale révolutionnaire des Mineurs pour ne plus avoir qu'une seule organisation syndicale communiste. Elle tente aussi d'imposer l'affiliation collective de tous les membres de l'organisation syndicale «rouge» au PCB. Julien Lahaut s'oppose à cette orientation. Il est alors attaqué par la direction du PCB. Un rapport adressé au Komintern est accablant pour la section de Seraing des Chevaliers du Travail. On peut y lire : «Durant des années, cette organisation reste inactive se berçant avec l'illusion d'être maître de la rue à Seraing. épose une motion qui interdit aux communistes d'occuper des postes à responsabilité dans les syndicats du POB au motif que les communistes sont politiquement affiliés à la III' Internationale qui combat la FSI. Cette motion est adoptée par /a Commission syndicale du POB en août 1924. Elle oblige Joseph Jacquemotte à se démettre de ses mandats du syndicat des employés. Elle contraindra les communistes à une quasi-clandestinité quand ils se rallient aux syndicats réformistes en 1936. Elle sera utilisée pour sanctionner les délégués syndicaux qui se présentent sur les listes communistes aux élections communales de 1938. _____________ On s'y figurait qu'on était fort et qu'il ne fallait qu'attendre pour voir arriver la destruction complète du réformisme liégeois. Dans cette même période, le réformisme travaille pour reconquérir ses positions perdues. Petit à petit, on constate une diminution du nombre de membres. Politiquement l'organisation vivait à la remorque de la social-démocratie. Ce fut l'anarchie dans la politique, dans l'organisation, dans l'administration. Actuellement il reste mille deux cents membres parmi lesquels neuf cents mineurs et trois cents métallurgistes. Ces syndicats sans vie réelle ont une mauvaise structure et sont de simples appareils de perception de cotisations». Décidément Julien Lahaut n'avait pas que des amis et des admirateurs à l'intérieur du PCB. Il est accusé d'être le chef des «banqueroutiers liégeois». Allusion aux grosses difficultés financières des organisations sérésiennes. Malgré tout, il résiste. Mais une fois de plus, les adversaires de Julien Lahaut s'inclinent. La Commission syndicale centrale du PCB conclut que prendre des sanctions contre Lahaut n'était pas envisageable car s'il renonçait à exercer son travail au sein du PCB et abandonnait ses postes à responsabilités, tout rapprochement entre le PCB et les Chevaliers du Travail deviendrait impossible. Elle appelle donc à un souhaitable front unique Chevaliers du Travail-Centrale révolutionnaire des Mineurs, tout en maintenant le droit à la critique. Le chantage à la démission permet donc à Julien Lahaut, bien que minoritaire, de maintenir sa ligne tant sur le plan politique avec l'affaire du Conseil provincial que sur le plan syndical avec le projet de fusion-absorbtion de son syndicat. L'Internationale communiste comprend bien que l'existence même de sa section belge est en danger. Elle fait pression. Julien Lahaut reprend son ascension vers la direction du PCB et il se rapproche de Joseph Jacquemotte. Ensemble, eux qui ont une expérience syndicale, ils travaillent à infléchir la pratique du PCB. Ils coopèrent pour combattre la ligne sectaire. Ils affichent publiquement leur alliance. Jacquemotte vient apporter son soutien parlementaire aux mineurs du Horloz en février 1930. Ceux-ci sont soutenus par les Chevaliers du Travail et le PCB qui tiennent un meeting commun à la Passerelle et se rendent en cortège à une soirée au Théâtre de Seraing au profit des grévistes. La session du Comité central de décembre 1930 amorce le tournant, en dénonçant «les méthodes fausses, la pensée schématique coupée des masses». En mai 1931, le VIème Congrès du PCB se réunit à Seraing pour refaire l'unité dans le parti. Il entérine le retour en grâce de Jacquemotte et de Lahaut. Le congrès condamne «l'opportunisme de droite» comme danger principal, mais aussi «le sectarisme de gauche qui le nourrit». Certes, la social-démocratie reste «la brigade de choc de l'impérialisme et le principal soutien de la bourgeoisie». Toutefois il ne faut pas la qualifier de «social-fasciste» et «pour la combattre, pour lui ôter son influence sur les masses, il faut proposer aux travailleurs un programme revendicatif, faire moins de discours négatifs et se rapprocher de la pratique des masses». La grève des mineurs en 1932 donne raison au tandem Jacquemotte-Lahaut. 1932, grève des mineurs - Table de matières Conséquence de la crise boursière de 1929, l'économie mondiale plonge dans une grande dépression. La politique de déflation - maintien de la valeur du franc, baisse des prix et des salaires - menée par le gouvernement belge ne fait qu'aggraver les choses. Les patrons en profitent. Le film de Henri Stork et Joris Ivens Misère au Borinage tourné en 193 3, donne une idée des dégâts qu'une baisse de revenus provoque dans une population à la limite de la survie. La grève éclate au Borinage et se répand en Wallonie. Le 29 mai, le congrès extraordinaire de la Centrale des Mineurs dépendant du POB accepte à un faible majorité la baisse «raisonnable» de cinq pour cent des salaires. Le PCB réplique par un slogan «Résistez par la grève à toute diminution des salaires». Le 24 juin, la Centrale des Mineurs du POB tient un meeting à Wasmes pour faire accepter la reprise. Julien Lahaut s'invite, avec Joseph Jacquemotte, pour porter la contradiction. Il reçoit des coups, mais réussit à s'imposer. Il retourne l'auditoire. La grève continue. Les chefs de file communistes multiplient les meetings. Ils se font tous arrêter, sauf Jacquemotte qui est protégé par son immunité parlementaire. Nouveau séjour en prison pour Julien Lahaut. Pendant ce temps-là, les mineurs en colère attaquent les Maisons du Peuple protégées par des gendarmes. Les grévistes obtiennent un pour cent d'augmentation au lieu de cinq pour cent de réduction des salaires. Le POB doit se remettre en question. Le PCB engrange de nouveaux membres et des électeurs.
Membre de la Chambre
Aux élections législatives de 1932, Joseph Jacquemotte est réélu à Bruxelles; Henri Glineur est élu à Charleroi et Julien Lahaut devient député de Liège. Sa liste remporte 8,01% des voix dans l'arrondissement et 19,25% dans le canton de Seraing. Privé du droit de vote mais protégé par l'immunité parlementaire, il quitte la prison pour entrer au Parlement. Il lui restait encore un total de onze mois à purger pour ses condamnations cumulées. Les trois députés communistes sont actifs à la Chambre. Leurs propositions législatives n'ont aucune chance d'aboutir, mais leurs critiques et leurs interpellations embarrassent, d'autant plus qu'elles sont répercutées par la presse communiste et rappelées dans les meetings. De la tribune du Parlement, ils s'adressent au peuple, critiquent les hausses de taxes, relayent les revendications des ouvriers et des pensionnés, attaquent le fascisme, le nazisme et l'extrême droite. L'action parlementaire s'inscrit dans une stratégie d'agitation et de propagande. Ils proposent une réforme de l'assurance chômage pour la rendre universelle et gratuite, financée par les patrons à hauteur de cinq pour cent de la masse salariale et de dix pour cent des bénéfices, le solde étant à charge de l'État par l'affectation du Fonds national de Crise et la réduction des dépenses d'armement. À l'époque, l'allocation de chômage était réservée aux syndiqués cotisants et subventionnée par les pouvoirs publics, État, Villes et Provinces. Les trois députés demandent en outre qu'on ne parle plus d'«allocation» mais de «rémunération». Ils proposent un statut du prisonnier politique afin de distinguer les militants emprisonnés pour leurs actions, des criminels de droit commun. Le groupe parlementaire du PCB réclame la nationalisation des industries d'armement, une carte d'identité fiscale pour traquer la fraude, une enquête sur la provenance de la fortune personnelle des mandataires publics, car c'était une période de scandales politico-financiers dont l'extrême droite profitait largement. Le 14 avril 1933, l'hebdomadaire Pourquoi Pas? consacre sa une et un grand article au citoyen Julien Lahaut. Si cette revue caustique classée à droite tient des propos sévères à l'égard de Joseph Jacquemotte et d'Henri Glineur, elle ne cache pas sa sympathie pour Julien Lahaut, «un grand garçon, gueulard et bon enfant, sentimental et violent, vif à l'attaque et rude à la riposte», avant tout un tempérament «ennemi du capitalisme mais pas du genre humain» et d'imaginer le soir de la révolution prolétarienne Julien Lahaut accueillir sous son toit un financier ruiné par celle-ci et partager sa gamelle égalitaire en lui disant : «Tu vois camarade, comme nous sommes nous autres. Toi tu n'as jamais rien partagé». La caricature signée par Jacques Ochs qui illustre la couverture de ce numéro révèle ce sentiment de sympathie. ège, le créateur du musée de l'Art wallon a toutes les caractéristiques du «petit bourgeois libéral» foncièrement démocrate et antifasciste. Il fera deux séjours à Breendonk. Le premier pour lui faire payer une caricature de Hitler en souverain antisémite parue dans le Pourquoi Pas? du 1" avril 1938. Le second parce qu'on lui avait découvert un grand-père juif, ce qui aurait dû lui être fatal si la Résistance n'avait pas retardé le dernier convoi pour Auschwitz et permis aux Anglais de libérer les prisonniers. ____________
Julien Lahaut croqué par Jacques Ochs Le 11 août 1934, la Jeunesse communiste de Belgique signe dans le cadre de la politique de «Front unique» prônée par l'IC, un pacte d'action commune avec la Jeune Garde socialiste. Cet accord comporte un volet antinazi, un autre prosoviétique, mais aussi une défense de Trotski. C'en est trop pour l'IC qui exige rectification et charge le Hongrois Andor Berei de faire appliquer la ligne de l'IC par le PCB. Or, outre la volonté de dénoncer le trotskisme, l'essentiel de l'orientation de l'IC est la construction de fronts populaires. La conférence nationale tenue à Charleroi en avril 1935 met à l'écart Henri De Boeck et Honoré Willems accusés de sectarisme et de tendresse envers les trotskistes, ce qui donne les coudées franches à Joseph Jacquemotte et à Julien Lahaut. À l'ordre du jour : alliances antifascistes avec les organisations du POB, constitution du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes (CVIA) qui jette des ponts entre la gauche ouvrière, les milieux intellectuels et la franc-maçonnerie.
La Centrale révolutionnaire des Mineurs à laquelle les Chevaliers du Travail de Seraing avaient enfin adhéré disparaît. Les militants communistes sont invités à mener la bataille dans les syndicats réformistes. Comme la motion Mertens existe toujours, cela demande de leur part beaucoup de doigté et parfois l'obligation de cacher leur appartenance au PCB. C'est ainsi qu'avant la guerre, la direction liégeoise de l'Association du personnel enseignant socialiste qui fonctionne comme une organisation politique et comme un syndicat lié au POB a la réputation d'être composée d'amis de Julien Lahaut. Ernest Burnelle et Théo Dejace étaient déjà communistes mais encore membres du POB. Le 1er août 1936, la Fédération générale des syndicats de Liège accepte l'adhésion individuelle des Chevaliers du Travail, à condition de n'être ni mandataire ni militant avéré du Parti communiste. Julien Lahaut reste donc sur le seuil.Pour préparer les élections de 1936, le PCB propose au POB des listes communes, ce que refuse le Conseil général du POB. Néanmoins, là où il ne présente pas de liste, le PCB appelle à voter socialiste. La nouvelle politique communiste porte ses fruits. Le PCB fait un bond en avant électoral et triple sa représentation parlementaire en Wallonie et à Bruxelles. Avec vingt-huit mille deux cent cinquante et une voix dans l'arrondissement de Liège, la liste communiste obtient deux élus, Julien Lahaut et Eugène Beaufort ainsi qu'une élue, Alice Adere épouse Degeer. Seul un d'entre eux avait pu voter puisque Julien Lahaut était toujours sous le coup d'une condamnation pénale et que les femmes n'étaient pas électrices aux législatives. Dans le canton de Seraing, la liste conduite par Julien Lahaut remporte 27,72 % des suffrages. Pourtant ce succès électoral masque des faiblesses internes. Le 14 février 1937, Xavier Relecom, Andor Berei et deux autres responsables de l'IC tiennent une réunion du département des cadres pour passer en revue les problèmes du PCB et recommander au passage plusieurs exclusions. Le cas de Seraing est évoqué. On déplore le manque de travail des sept conseillers communaux, leur indiscipline, le fait que certains ne remettent pas leurs jetons de présence au PCB, la trahison d'un responsable syndical local, la zizanie au comité régional entre Julien Lahaut et sa voisine d'Ougrée, députée et membre du CC, Alice Degeer. En vue des élections législatives de 1936, malgré les efforts de Georges Van den Boom dépêché par le BP, Alice Degeer ne passe au poil qu'en quatrième position. La liste proposée par les Liégeois sera modifiée par le Comité central pour faire remonter la candidate en troisième place derrière Julien Lahaut et le mineur Eugène Beaufort. La France du Front populaire a montré l'exemple d'une énorme avancée sociale. Pourtant c'est par la Flandre que la grève gagne la Belgique. Le 3 juin, dix mille dockers anversois cessent le travail, rejoints le lendemain par les ouvriers diamantaires. Julien Lahaut lance aussitôt le mot d'ordre de l'extension de la lutte. Les mineurs entrent dans l'action. La ligne du parti est unitaire : mettre tous les syndicats en mouvement dans toutes les régions du pays. La grève s'étend pendant trois semaines avec un nombre incalculable de meetings et de manifestations se heurtant à la répression parfois sanglante du gouvernement Van Zeeland (catholiques-socialistes-libéraux). À Seraing, les vieux démons de la division conduisent Isidore Delvigne, président de la Fédération régionale des syndicats du POB et directeur du quotidien La Wallonie, pourfendeur de Lahaut, à monopoliser la parole à la Maison du Peuple. Sous la pression de la foule, Julien Lahaut est toutefois admis à la tribune. Il exige et obtient la présence d'un orateur de la Confédération des syndicats chrétiens (CSC). Le meeting devient unitaire. La victoire des grévistes est totale : création des congés payés pour les ouvriers (six jours entre deux dimanches), augmentation des salaires et principe des quarante heures. Il faudra quarante ans pour appliquer intégralement cette dernière mesure mais des réductions de temps de travail sont acquises. Comme de nombreux grévistes et militants sont en prison, en attente de jugement, Julien Lahaut dépose à la Chambre une proposition d'amnistie pour toutes les infractions commises à l'occasion des grèves. Les élections communales ont lieu en octobre 1938. C'est un succès pour la liste conduite par Julien Lahaut. Les communistes décrochent neuf sièges, les socialistes douze, les catholiques deux, les libéraux un et les rexistes un. Le POB est consterné. Il a perdu sa majorité absolue. Les communistes offrent leur alliance. Dans la commune voisine, à Ougrée, dans une ambiance de front populaire les communistes se sont présentés sur la liste d'unité conduite par le socialiste René Delbrouck. Alice Degeer y devient échevine. Le bourgmestre sortant catholique est envoyé dans l'opposition. La Province est dirigée par une coalition socialiste-communiste. Mais à Seraing, le POB refuse la main tendue. Des ennemis personnels de Julien Lahaut comme le syndicaliste Joseph Bondas font tout pour empêcher l'alliance. Les négociations traînent. Le 1er janvier 1939, le collège n'est toujours pas constitué. Les positions se raidissent d'autant plus que le gouvernement belge va reconnaître le gouvernement de Burgos, autrement dit la dictature du général Franco soutenue par l'Italie fasciste et l'Allemagne nazie, alors que Madrid et Barcelone gouvernées par les républicains tiennent toujours. Le ministre des Affaires étrangères Paul-Henri Spaak met tout son poids dans la balance pour obtenir l'accord du POB et éviter la crise gouvernementale. Paul-Henri Spaak et Henri de Man triomphent avec trois cent soixante mille voix contre cent nonante mille au congrès du POB (voix reportées par le jeu des affiliations collectives). Malgré cela les communistes acceptent de soutenir, sans y participer, un collège homogène socialiste mis en place le 1er février, afin d'éviter à Seraing-la-Rouge une coalition avec la droite. Déjà avant la guerre de 1914, dans sa fonction de secrétaire de Relève-toi, Julien Lahaut tient des meetings de solidarité, par exemple avec des syndicalistes japonais menacés d'exécution. Plus tard on le retrouve dans l'action pour essayer de sauver Sacco et Vanzetti, anarchistes américains d'origine italienne condamnés à mort. Il mobilise sa base à l'appel de la HIème Internationale pour s'opposer à la répression de la révolte anticoloniale d'Abdel Karim dans le Rif marocain, etc. Face aux fascistes et aux nazis - Table de matières En 1924, Paul Hoornaert rêve de devenir le Mussolini belge. Il fonde une Légion nationale avec toute la panoplie fasciste : uniformes, matraques, marches militaires et discours anticommunistes. Un certain Graff, son lieutenant liégeois veut lancer son mouvement dans la Cité ardente. Il loue le Cirque des Variétés où il rassemble quelques dizaines de partisans et quelques centaines de curieux. Julien Lahaut arrive avec une colonne de métallos et de mineurs. Il demande la parole pour porter la contradiction. Refus, tumulte, coups de poing, les fascistes prennent la fuite et se réfugient à trois cents mètres de là dans un hôtel de la rue du Pont d'Avroy, en plein cœur de Liège, sous la protection des légionnaires matraqueurs. Les manifestants les balayent, défoncent la devanture, font voler les assiettes et retrouvant Graff dans la cuisine, ils lui arrachent sa canne. Elle servira de trophée à Julien Lahaut et ornera le local des communistes de Seraing. Cette émeute vaut à Julien Lahaut une nouvelle condamnation.
La canne fasciste de Graff croisée
Mais elle fonde une tradition : à Liège, les fascistes ne s'exprimeront pas en public. Le 1er mai 1933, la manifestation communiste fait la jonction avec le cortège socialiste à hauteur du consulat d'Allemagne. Une femme, aidée par des Jeunes Gardes socialistes et des militants communistes arrache le drapeau à croix gammée du balcon. Elle le remet à Julien Lahaut qui le lacère publiquement au cours d'un meeting international antifasciste Salle Pleyel à Paris. Plus tard il l'apporte au Parlement et le brandit à la face des députés. «Voilà votre drapeau, complices et valets de Hitler», profère-t-il à l'adresse de ceux qui faisaient preuve de mollesse ou de complaisance à l'égard du nazisme. La lutte antifasciste atténue les rivalités dans le mouvement ouvrier. Julien Lahaut est un de dirigeants du Rassemblement universel pour la Paix (RUP). À ce titre il prend des contacts pour lancer à Seraing un Comité de vigilance des intellectuels antifascistes (CVIA) assurant ainsi un lien entre le mouvement ouvrier et cette organisation qui était née à Liège au printemps 1934 et regroupait des avocats, des professeurs d'université, des enseignants, des médecins et des artistes. En septembre 1935, il parle à la même tribune que Joseph Merlot et Joseph Bondas. En 1935, à Bruxelles, il harangue la foule devant le pavillon italien de l'exposition universelle. Il s'en prend à Mussolini et à la guerre d'Ethiopie. Comme il se rebelle et distribue quelques coups de poing aux «forces de l'ordre» venues l'interrompre, il est condamné à cinq mois de prison et cent cinquante francs d'amende mais obtient un sursis partiel pour la peine de prison. Avec les réfugiés - Table de matières Julien Lahaut signe avec Isabelle Blume et Pierre Nothomb une brochure publiée en 1938 à Bruxelles aux éditions Germinal sous le titre Traqués partout, les émigrés antifascistes demandent le droit à la vie. Les trois auteurs protestent contre les pressions rexistes qui attribuent le chômage aux trois cent vingt mille étrangers résidant en Belgique. En passant, ils soulignent que six cent mille Belges vivent à l'étranger! Sur les trois cent vingt mille immigrés, cent soixante-cinq mille proviennent du Luxembourg, de France, de Hollande, d'Angleterre et de Suisse. Ils bénéficient d'un accord de réciprocité depuis 1919. Les autres sont surtout des travailleurs polonais, italiens ou tchécoslovaques : trente mille mineurs, seize mille métallurgistes, quatre mille ouvriers du bâtiment, sept mille relèvent du secteur du vêtement et douze mille sont des gens de maison. Sous prétexte de chômage, les militants antifascistes sont refoulés et privés d'asile. Julien Lahaut interpelle le ministre de la Justice le 14 juin 1938. Il accuse. La Belgique renvoie en Hollande des réfugiés allemands qui y avaient déjà demandé l'asile sans succès. Que vont-ils devenir? Seront-ils livrés à Hitler? La police judiciaire organise dans les cafés une rafle de clandestins : des juifs roumains. Vont-ils être rendus à un pays ouvertement antisémite? Un israélite installé illégalement depuis 1912, père de trois enfants nés en Belgique, est expulsé vers son pays d'origine. Un commerçant russe arrivé avant 1914 est expulsé. Par contre un hitlérien allemand est perquisitionné rue Saint-Maur à Liège où la police trouve vingt fusils, quatorze mitrailleuses, des revolvers et des munitions, mais il est laissé en liberté.
Louis de Brouckère, vieux socialiste de gauche, révulsé par l'attitude de son gouvernement a démissionné comme chef de délégation à la Société des Nations. Les réfugiés arrivés avec un visa de tourisme sont expulsés. Pour pouvoir rester, il leur faut un permis de travail. Sans permis de séjour que la sûreté leur refuse, pas de permis de travail... L'interdiction pour un étranger d'avoir des activités politiques est poussée jusqu'à l'absurde : des socialistes italiens et espagnols sont interdits de 1er mai et ne peuvent participer à un congrès du POB. En 1936, les autorités ont empêché le Français Marcel Cachin, directeur de L'Humanité, de prendre la parole aux funérailles de Joseph Jacquemotte. Au passage, Julien Lahaut accuse la CGTB (Centrale générale du Travail de Belgique, héritière de la Commission syndicale du POB) et les partisans de Paul-Henri Spaak de torpiller l'unité antifasciste en Espagne. Il revendique, en conclusion, la fin des brimades, de l'antisémitisme, l'assimilation des Autrichiens aux Allemands en matière de droit d'asile et la ratification de la Convention de Genève du 10 février 1938 sur les réfugiés. Le 13 janvier 1939, Julien Lahaut interpelle à nouveau le ministre de la Justice. Il a appris que le 5 janvier à la frontière de Herbesthal, la gendarmerie avait refoulé vers l'Allemagne nazie des enfants juifs, alors qu'il avait promis que ça n'arriverait plus. Avec la République espagnole - Table de matières Bien évidemment Julien Lahaut lance toutes ses forces dans la solidarité avec les républicains espagnols pendant la guerre civile de 1936-1939. Dans ses meetings et à la Chambre, il prédit : «Après Madrid, ce sera Prague; après Prague, ce sera Bruxelles», pour fustiger la passivité face à l'aide apportée par l'Allemagne nazie et l'Italie fasciste aux troupes du général Franco. Il encourage les volontaires des Brigades internationales, se rend à Valence et à Madrid avec un convoi de vivres et héberge trois enfants de républicains espagnols.
Secrétaire du PCB - Table de matières Le 11 octobre 1936, Joseph Jacquemotte décède brusquement dans le train qui le ramène de Seraing où La Voix du Peuple, quotidien remplaçant l'hebdomadaire Le Drapeau Rouge, était imprimée. Dans l'euphorie du Front populaire en France, des succès électoraux, de la formation d'une majorité POB-PCB au Conseil provincial de Liège avec deux députés permanents communistes, et du succès des rusions syndicales montrant la force de frappe des militants communistes au sein des syndicats réformistes, il venait d'impulser une proposition audacieuse : l'inscription collective du PCB dans le POB qui était, ne l'oublions pas, une fédération d'organisations. Une telle idée reviendra après les grèves de 1960-61 avec René Beelen, vice-président du PCB et leader de sa fédération liégeoise, dans le cadre cette fois de l'Action commune socialiste regroupant PSB, FGTB, coopératives et mutuelles. Le 18 juillet, Joseph Jacquemotte avait publié un article dans ce sens. Nul doute que Julien Lahaut était d'accord, d'autant plus que l'idée venait de PIC. Mais le POB avait refusé cette adhésion collective et ouvrait ses portes individuellement aux communistes. La perte de toute structure communiste conduisait à une simple dilution dans le POB. C'était inacceptable. On en resta là. Le 31 octobre 1936, Julien Lahaut prononce devant le VIème Congrès du PCB, le rapport du Comité central que Joseph Jacquemotte aurait dû présenter. C'est le congrès du quinzième anniversaire du PCB. Une occasion d'en faire l'histoire. Le bataillon des cinq cent dix-sept fondateurs est devenu un puissant parti auquel adhèrent près de dix mille membres. Il a vaincu le trotskisme qui le désagrégeait de l'intérieur. __________________
La conférence de Charleroi, en 1935, a mis à l'écart la direction sectaire. Le cap est mis sur l'union de la classe ouvrière, selon la ligne de «notre chef Staline» et du VIIème Congrès de l'Internationale communiste qui veut déraciner complètement le sectarisme comme le proclame Dimitrov. Les communistes veulent des syndicats puissants et combatifs et c'est pourquoi ils travaillent à l'intégration de la Centrale révolutionnaire des Mineurs dans celle de la Commission syndicale. Pour y parvenir, il faut vaincre les réticences du POB qui craint le noyautage. L'unité doit se faire dans la lutte antifasciste, contre Rex et le Vlaams Nationaal Verbond (VNV) parti nationaliste flamand, mais aussi contre les faiblesses du gouvernement d'union nationale qui a laissé dévaluer le franc. Les carences de ce gouvernement font le lit de l'extrême droite. Les trotskistes sont également désignés comme des agents du fascisme international, assassins de Kirov (responsable communiste de Leningrad) et des complots contre Staline, déjoués par la justice soviétique. Selon l'enseignement de Dimitrov, le militant communiste doit être doté de quatre vertus : le dévouement, la liaison avec les masses, la capacité de s'orienter par soi-même dans les situations concrètes, la discipline dans l'application de la ligne. Julien Lahaut conclut son discours en appelant le parti à être une avant-garde bien organisée dans le combat pour «que les riches payent», à l'exemple du PCF et de sa campagne sur les deux cents familles les plus riches de France. Julien Lahaut a pris au pied levé l'intérim de Joseph Jacquemotte. Le vide à la tête du PCB sera comblé. Une nouvelle direction est mise en place. À la veille de la guerre en 1939, un secrétariat de trois personnes dirige le PCB avec l'aide discrète d'Andor Berei délégué de PIC : Relecom, nouveau numéro un, Julien Lahaut numéro deux, Van den Boom numéro trois et chef de file des communistes flamands. Lee-mans, issu de l'anarcho-syndicalisme des travailleurs du textile verviétois, le communiste le plus populaire de Wallonie après Lahaut, selon PIC, est directeur de La Voix du Peuple. Lalmand, futur secrétaire général, supervise le travail des communistes en Flandre.
DANS LA GUERRE - Table de matières Le 2 avril 1939, Julien Lahaut est réélu. Les communistes ont subi un tassement, mais ils maintiennent leur groupe à la Chambre. Une partie de leur relatif succès est liée aux questions internationales. Ils apparaissent comme les fidèles défenseurs de l'Espagne républicaine alors que le POB l'a trahie. Ils sont les plus farouches opposants à la politique de neutralité face à Hitler. Sur ces deux points, ils ont l'oreille de la gauche socialiste et de beaucoup de libéraux wallons. Mais ils vont devoir naviguer sur une mer bien agitée.
Le Pacte de non-agression
Le 23 août 1939, l'Allemagne nazie et l'URSS signent un pacte de non-agression. Cette nouvelle surprend. La direction du PCB considère que ce traité est un instrument de paix qui n'a pas d'incidence sur la politique nationale. Le 5 septembre à la Chambre, Xavier Relecom réaffirme encore la ligne antinazie du PCB : «Ce n'est pas la neutralité, déclare-t-il, mais seulement la défaite rapide de l'Allemagne hitlérienne qui évitera à notre pays les horreurs de la guerre». Il affirme que les communistes se mettront au service du pays et de son indépendance. Il demande que l'armée soit massée à la seule frontière menacée et il annonce que les parlementaires communistes voteront les projets de loi en faveur de la défense. Le président de la Chambre le rappelle à l'ordre et lui demande de mesurer ses paroles car la Belgique est neutre et doit le montrer. Les propos hostiles à l'Allemagne nazie tenus à la tribune du Parlement dérangent. Mais quelques jours plus tard, les instructions de l'Internationale communiste arrivent. Elles indiquent que «cette guerre n'est pas la nôtre». Le PCB devient alors neutraliste et renvoie dos à dos les deux impérialismes, l'allemand et le franco-britannique. La Pologne est à genoux. L'URSS occupe une partie de son territoire, ainsi que les pays baltes et elle entre en guerre contre la Finlande. La Roumanie est contrainte par son allié Hitler de lui céder la Bessarabie (Moldavie). Le contexte historique donne des arguments aux amis de l'URSS. En effet, l'année précédente, à Munich, la France, le Royaume-Uni et l'Italie livraient la Tchécoslovaquie à l'Allemagne. La Pologne avait également participé au dépeçage de ce pays. Au printemps 1939, elle refusait la proposition britannique d'une entente destinée à la protéger parce qu'elle incluait l'URSS. L'URSS elle-même, menacée par le pacte anti-Komin-tern liant depuis 1936 l'Allemagne, l'Italie et le Japon, brisait l'encerclement, éloignait la menace d'une guerre où elle aurait été isolée. De plus son action apparaissait à ses sympathisants comme une récupération de territoires que la Russie avait perdus suite à la révolution, à la guerre civile et aux interventions étrangères. La majorité des communistes belges s'adapte à ce changement de ligne que Julien Lahaut exprimera avec force. Il y a très peu de défections. Dès lors, les communistes sont présentés comme les alliés de Hitler. Sur base d'un arrêté-loi remontant à 1916, La Voix du Peuple est interdite. L'organe central du PCB reparaît sous de nouveaux titres successifs chaque fois saisis. À partir du 29 décembre 1939, un arrêté royal permet d'interdire tout journal hostile à la politique extérieure du gouvernement. Dès janvier 1940, la distribution de tracts sur la voie publique n'est plus autorisée. Le pouvoir fait preuve de partialité, Le Pays réel rexiste par exemple est toléré. Julien Lahaut interpelle le gouvernement à ce sujet. Le PCB se raidit et demande même quelles dispositions sont prises pour faire face aux menaces de Londres et de Paris! Le 17 janvier 1940, Julien Lahaut, à la Chambre, reproche aux socialistes francophiles de conseiller aux ouvriers belges de se rendre en France. À un autre moment, il les traite de «laquais du Quai d'Orsay». En mars 1940, le Parlement belge vote la loi «pour la défense des institutions nationales» faite sur mesure pour mettre les communistes hors-la-loi. Julien Lahaut prononce un grand discours contre cette «loi scélérate» qui permettra d'interdire aux communistes de voter et d'être élus, d'occuper des fonctions publiques, de faire partie d'un jury d'assises, d'un conseil de famille et même de porter leurs décorations. Le ministre de la Justice Paul-Emile Janson et Julien Lahaut s'affrontent durement. Julien Lahaut ironise, le ministre n'a-t-il pas versé cinq cents francs à la cause des grévistes en 1936, est-il certain de ne pas se retrouver un jour sur la liste noire des fauteurs de trouble? Plus sérieusement il rappelle la farce du grand complot de 1923. Le PCB n'est pas un parti de comploteurs, c'est un parti de masse et qui ne trahit pas les masses comme le font les chefs syndicaux socialistes qui, battus par leur congrès, vont quand même signer des accords désastreux pour la classe ouvrière. Seuls quelques parlementaires dont le jeune Gaston Eyskens éprouvent des scrupules à voter une loi anticonstitutionnelle. Elle sera néanmoins adoptée, l'extrême droite votant contre également, pour d'autres raisons. Elle ne sera pas appliquée. Montrant l'utilité des communistes au Parlement, Julien Lahaut intervient sur le «statut du mobilisé» pour améliorer la situation pécuniaire des soldats et de leur famille, ainsi que sur la modification de la loi sur les baux pour permettre aux juges de paix de réduire d'autorité les loyers des familles comportant un mobilisé et menacées d'expulsion. Les commerçants dont les affaires sont compromises par la guerre jouiraient de la même protection. Les parlementaires communistes belges gardent leur liberté d'action et de parole, ce qui n'est pas le cas de leurs collègues français. Le PCF est dissous le 26 septembre 1939. Les députés communistes français fondent alors un «Groupe Ouvriers et Paysans». La diffusion d'une lettre adressée au président de la Chambre sert de prétexte à la levée de leur immunité et à leur emprisonnement. Leur procès est annoncé pour le 18 mars 1940. Ils risquent cinq ans de prison. Julien Lahaut prend leur défense et publie une brochure sous forme d'une «lettre aux parlementaires de Belgique, de Hollande, de Suède, du Danemark, d'Angleterre et des États-Unis» dont il assume la responsabilité. C'est une occasion de faire connaître ce document jugé subversif. La brochure se trouve d'ailleurs dans un dossier des Archives de l'Armée de Terre française. Elle exprime la volonté de mettre fin à la «drôle de guerre», l'URSS proposant ses bons offices entre «les fauteurs de guerre impérialistes (lire les Anglais et les Français) et l'Allemagne hitlérienne, en proie à des contradictions internes». Cette initiative a été plus que probablement suscitée par l'Internationale communiste. Comme l'a mis en lumière José Gotovitch dans son ouvrage Du rouge au tricolore, R ésistance et Parti communiste, à l'époque, le délégué de PIC à Bruxelles, le Hongrois Andor Berei avait été rejoint par celui de Paris. La Belgique était devenue la base arrière du PCF où l'on publiait des tracts et brochures, où l'on cachait des militants en fuite, dont le plus célèbre, Maurice Thorez, poursuivi comme leader communiste et déserteur, exfiltré par bateau vers l'URSS. Le PCB disposait d'un atelier de faux papiers. Une partie de son appareil dirigeant était déjà dans la clandestinité.______________ Le procès des 44 Quarante-quatre députés français sont traduits le 18 mars 1940 devant le troisième tribunal militaire permanent de Paris. Les députés du Groupe Ouvriers et Paysans ne sont pas poursuivis pour trahison mais pour avoir exprimé une opinion : leur lettre au président de la Chambre avait été diffusée à l'extérieur de l'enceinte parlementaire. En outre, ils sont accusés d'avoir reconstitué une organisation communiste. Les faits étaient avérés, mais ce procès politique jugé par des militaires avait un parfum de dictature. La mise hors-jeu des députés communistes déplaçait à droite la majorit é parlementaire. Le régime de Vichy se dessinait déjà. Les mandataires socialistes et radicaux qui avaient interdit le PCF dans un souci patriotique seront les mêmes qui voteront les pleins pouvoirs au maréchal Pétain, précipitant l'État français dans la collaboration avec l'Allemagne nazie. De plus, nombre des députés accusés étaient des anciens combattants de 1914-1918, multimédaillés et parfois mutilés de guerre, ce qui jetait un malaise supplémentaire. La peine maximum de cinq ans n'est infligée qu'aux signataires de la lettre et aux députés en fuite dont Thorez, mais ceux qui avaient bénéficié du sursis font l'objet d'une arrestation administrative immédiate. Jean Fonteyne était un des avocats de la défense. À l'issue du procès, il publie à Anvers un livre relatant le Procès des Quarante-quatre.______________ L'occupation - Table de matières Le 10 mai 1940, avec l'agression allemande, les autorités belges font arrêter les militants et mandataires communistes. Julien Lahaut n'était pas chez lui. Il reparaît bientôt à Seraing, occupée. Le Conseil communal se réunit le 29 mai, avec une majorité communiste, seize conseillers seulement étant présents. Julien Lahaut fait constater l'absence du bourgmestre Joseph Merlot et des trois échevins, il exige l'application de la législation sur les abandons de poste et réclame leur destitution. Le bourgmestre faisant fonction, Grandjean, souligne l'illégalité de la mesure et propose de porter la question devant la députation permanente, mais entre-temps, trois conseillers communaux, dont Julien Lahaut, deviennent des échevins faisant fonction selon leur rang d'ancienneté. Julien Lahaut fait alors un coup de force. Constatant que la question du ravitaillement est devenue cruciale, il propose la création d'un quatrième poste d'échevin pour son camarade Désiré Mosbeux qui serait chargé de cette compétence. Celui-ci est élu avec quatorze voix et deux bulletins blancs. Des non-communistes ont donc voté pour lui et personne ne s'est opposé à la proposition de Julien Lahaut. Dans son autobiographie conservée à l'IHOES, Désiré Mosbeux signale que sa fonction lui a permis de fournir des fausses cartes d'identité et des timbres de ravitaillement aux militants clandestins. Au cours du mois de juin, Julien Lahaut est interrogé par la police allemande, son domicile est perquisitionné mais il conserve sa liberté d'action. Le 8 juillet, nouvelle séance du Conseil communal. Joseph Merlot qui est de retour, conteste les décisions de la séance précédente mais il doit s'incliner. Il ne reparaîtra plus avant 1945. Il plonge en effet dans la clandestinité puis est arrêté et déporté. De fait, les communistes vont diriger Seraing, comme on le verra à propos de la grande grève de l'année suivante. En juin 1941, Julien Lahaut et Désiré Mosbeux sont arrêtés. Le Conseil communal ne se réunit plus, le collège assumant ses fonctions en vertu de l'arrêté des Secrétaires Généraux du 28 mai 1941. En 1942, Seraing disparaît, absorbée dans le Grand Liège créé par les Allemands et gouverné par les rexistes. Quand le Conseil communal se réunit à nouveau le 20 octobre 1944, il rend hommage à ses membres déportés dont Joseph Merlot, le bourgmestre, Julien Lahaut et Désiré Mosbeux. La vie communale reprend progressivement son cours, chacun retrouve le poste qu'il occupait avant le 10 mai 1940. Quand ils rentrent des camps, Joseph Merlot redevient bourgmestre, Julien Lahaut et Désiré Mosbeux retrouvent leur rang de simples conseillers communaux. En mai 1940, les députés permanents communistes Henri Grognard et Joseph Thonet sont également restés à leur poste, ils gouvernent la Province en l'absence de leurs collègues et du gouverneur mais dès le 4 juillet, ils sont révoqués par l'occupant. Julien Lahaut décide de descendre dans le midi de la France pour aller rechercher les jeunes gens qui y avaient été évacués et dont les familles sont sans nouvelles. Il obtient un mandat du Conseil communal de Seraing, l'accord du gouvernement provincial et un laissez-passer des autorités allemandes. Il revient de la région de Toulouse avec des milliers de lettres. De nombreux réfugiés le suivent et rentrent au pays. Les autorités françaises de Vichy s'inquiètent de la présence de cet agitateur en «zone libre».
Julien Lahaut, et à travers lui le Parti communiste, sera attaqué après la guerre à propos de cet épisode. C'est à l'origine du discours prononcé à la Chambre le 26 juillet 1945 et publié sous forme d'une brochure : Ne touchez pas au parti des fusillés! Julien Lahaut argumente. Il avait dû se munir d'un passeport belge attestant sa qualité de député enjoignant aux autorités civiles et militaires belges qu'il rencontrerait de l'aider dans sa mission. Il a d'ailleurs commencé par prendre contact avec l'ambassade de Belgique à Paris. La seule solution pour sortir du pays était d'obtenir un visa de la part de l'occupant. Mais pour obtenir le visa, il fallait une contrepartie. «Deux millions de Belges se trouvent en zone inoccupée et les membres du collège échevinal de ma commune et moi-même, nous sommes l'objet de nombreuses démarches de la part des mamans qui venaient nous poser la question suivante : "On a affiché et on a donné l'ordre aux jeunes gens de seize à dix-huit ans de se diriger vers des lieux qui ont été fixés par la suite; aussi, nous sommes sans nouvelles, la place est vide au foyer; à table, le soir, nous nous demandons ce que sont devenus nos enfants". Et de l'une de ces mamans je recevais les détails suivants : "Nous avons cherché partout. Nous sommes venues aux environs de la frontière à la poursuite de renseignements que l'armée allemande avait recueillis. Toutefois les lieux indiqués sur les affiches avaient été repérés et bombardés particulièrement là où se trouvaient les jeunes gens ". Et la maman se présentant au bourgmestre, on lui répond : "Oui, Madame, le train a été bombardé, il y a quarante tués ". "Où sont ces tués? " demande la maman, et "Quels sont les noms "» On lui répond : "Nous ne le savons pas ". Et cette femme, elle va au cimetière voir le fossoyeur et a retourné de ses mains les quarante cadavres pour voir si son fils était tout près. Au collège échevinal j'ai proposé qu 'une délégation se rende en zone non occupée à la recherche des jeunes gens. J'ai eu, en France, une entrevue avec un membre du gouvernement, le général Denis, à qui j'ai expliqué l'objet de ma mission : il m'a aidé efficacement en donnant une recommandation écrite de sa propre main, me permettant d'accomplir ma mission et me donnant tous les détails nécessaires. Les jeunes gens étaient répartis dans quatre cents camps et ils étaient quatre-vingt-cinq mille environ. Les familles étaient sans nouvelle! Je me suis rendu à Toulouse où j'eus une entrevue avec le Haut-Commissaire. J'ai été à VÉtat-major où j'ai pu prendre copie, grâce au concours de quelques personnes de bonne volonté, de toutes les personnes qui se trouvaient encore dans les camps. Rentré dans ma commune, j'ai convoqué les mamans et je leur ai donné tous les détails. Et chaque fois qu 'on citait un nom d'un jeune homme qui était toujours en vie, c 'était une scène émouvante». Julien Lahaut à la Chambre, le 26 juillet 1945 C'est pourquoi il a dû signer le document suivant : «Je soussigné Julien Lahaut, membre de la Chambre des représentants, mandaté par le gouvernement provincial de Liège (Belgique), mandat confirmé par l'ambassade belge à Paris et par un document de l'Autorité allemande, en vue du rapatriement des jeunes gens de la réserve de recrutement, et des réfugiés se trouvant en France, déclare que le Haut Commandement allemand en Belgique exige la reprise de l'activité économique du pays. Ce but ne peut être atteint que par la réorganisation immédiate de toutes les industries, de l'artisanat, des exploitations agricoles, des services publics et des banques, de l'enseignement et du commerce et des professions libérales». Ce document n'était guère différent de ceux qui étaient délivrés par le ministère belge réfugié à Vichy et qui demandait aux autorités allemandes de faciliter le retour des Belges dans leurs pays. Julien Lahaut ne s'excuse pas et revendique avec fierté d'avoir rusé avec les Allemands. Ceux-ci ne s'y sont du reste pas trompés puisque à son retour il a été intercepté et «interrogé pendant sept heures». Il ajoute qu'il est évidemment absurde de lui prêter l'intention d'aider l'industrie de guerre allemande puisque les communistes ont pris d'énormes risques en multipliant les grèves et que lui-même s'est trouvé porté à la tête de la grève des 100.000. Le 19 septembre 1945, La Gazette de Liège, journal conservateur catholique publie le fac-similé du document et qualifie Julien Lahaut de «recruteur d'ouvriers pour l'Allemagne». Dans son Histoire anecdotique du mouvement ouvrier au pays de Liège, Joseph Bondas consacre onze pages à fustiger les communistes, principalement à propos de la période 1939-1940. Il cite abondamment Xavier Relecom mais trouve le moyen de ne pas mentionner le nom de son ancien ami devenu ennemi, Julien Lahaut. Il fait simplement une allusion aux «démarches que fit le président du Parti communiste pour ramener en Belgique, les nombreux ouvriers partis en France, dont les Allemands avaient un grand besoin pour leur fabrications de guerre». L'Internationale communiste, sous l'impulsion du Bulgare Georges Dimitrov, déjà concepteur de la stratégie antifasciste s'appuyant sur les fronts populaires, infléchit sa ligne. On pourrait résumer comme suit cette orientation : l'Allemagne a gagné la guerre contre la France et elle occupe une grande partie de l'Europe; la grande bourgeoisie accueille favorablement l'ordre nouveau; il appartient donc à la classe ouvrière de se défendre dans ces nouvelles conditions à la fois contre les forces réactionnaires nationales et contre l'occupant, bref de prendre la tête de la lutte pour l'indépendance. En décembre 1940, Louis Neuray, ouvrier aux Constructions électriques de Belgique, filiale herstalienne des ACEC, et membre du Comité central du PCB, est porté à la tête d'un Comité d'entreprise qui mène une action revendicative. Le 14 décembre, il est mis à pied, ce qui provoque aussitôt une grève de protestation. Il est alors arrêté par les Allemands. La presse clandestine du PCB lance une campagne de solidarité pour «libérer Neuray». L'organe de la fédération liégeoise Liberté indique qu'il s'agit de la lutte des travailleurs contre leur patronat soutenu par l'appareil répressif des représentants du capitalisme étranger avec la complicité active de l'UTMI et passive des sociaux-démocrates. Neuray n'agissait pas seul. Il était encouragé par Julien Lahaut qui lui avait promis qu'en cas d'arrestation, le parti s'occuperait de sa famille. La ligne de lutte contre à la fois le capitalisme national et l'occupant s'exprime ici dans l'action. Louis Neuray est condamné par un tribunal militaire allemand comme meneur d'une grève à une peine de prison de trois ans qu'il purgera en Allemagne avant d'être détenu comme prisonnier politique. En septembre 1944, abandonné par ses gardiens pendant un transfert interrompu par un bombardement allié, il rentre au pays à pied au travers de la ligne de front. Il est présent au retour de Julien Lahaut. Symboliquement en 1941, les ouvriers de son entreprise l'avaient réélu comme délégué syndical. Rex ne vaincra pas - Table de matières Léon Degrelle décide de marcher sur Liège le 5 janvier 1941. Il a l'intention de rassembler ses partisans au Palais des Sports de Coronmeuse, là où l'exposition universelle de 1939 avait été interrompue par la guerre. On lui prête l'intention de se rendre à l'Hôtel de Ville, d'installer un pouvoir communal rexiste. Si son coup réussit, il se positionnera comme chef politique d'une Wallonie, sinon d'une Belgique sous protectorat allemand. Il a prévu dans son discours de faire allégeance à l'«ordre nouveau», de proclamer sa fidélité à l'Allemagne nazie et de conclure par un vibrant «Heil Hitler». Il devait se souvenir qu'en 1936, alors en pleine ascension, il avait été éconduit de Seraing. Un arrêté communal avait interdit son meeting. Il voulait approcher en bateau-mouche et braver Seraing-la-Rouge, mais accueilli par une pluie de projectiles et même quelques coups de feu, il avait dû faire machine arrière. Cette fois, fort de la protection de l'occupant, il pense prendre sa revanche. Le 5 janvier 1941, Léon Degrelle organise un grand meeting au Palais des Sports de Coronmeuse à Liège, où il lance son premier «Heil Hitler». Son intention, après le meeting est d'organiser une marche vers le centre de la ville. Mais le Parti communiste et la Jeune Garde socialiste unifiée (JGSU) avaient appelé ouvertement à contre-manifester. À la sortie du meeting, Julien Lahaut en tête d'une foule de plusieurs milliers de personnes provoque la bagarre. Degrelle doit s'enfuir sous les huées, sa voiture est lapidée et les antifascistes restent maîtres de la rue à Liège. Cet épisode pèsera certainement sur la piètre opinion qu'auront les nazis des capacités politiques de Léon Degrelle. ées à la jeunesse catholique. Il se place à l'aile droite du Parti catholique et fait sécession sous le nom de Rex. À l'occasion des élections de 1936, il connaît un succès évident. Dans l'arrondissement de Liège, les rexistes prennent deux sièges aux catholiques et un aux libéraux. En même temps, la gauche se renforce avec un succès communiste. Léon Degrelle se proclame «Chef de Rex», l'Eglise prend ses distances et rappelle son soutien exclusif à ce qui devient le Parti catholique social. En 1937, Degrelle fait démissionner tous les élus et suppléants rexistes de l'arrondissement de Bruxelles pour provoquer une élection partielle qu'il compte bien remporter, mais toutes les forces démocratiques, y compris les communistes qui ont compris la menace fasciste, lui barrent la route en soutenant la candidature du Premier ministre Paul Van Zeeland, catholique et banquier. L'étoile de Degrelle décline alors. Pendant la guerre, il se met au service dé l'Allemagne nazie. Il échappe au peloton d'exécution en se réfugiant en Espagne, sous la protection du général Franco qu'il avait soutenu pendant la guerre civile. ___ ___ JGS La Jeune Garde socialiste était le mouvement de jeunesse du POB. Dans l'esprit du temps elle avait un caractère de milice en uniforme. Dans les années ) 920, elle fait campagne pour le fusil brisé et un pacifisme radical. Elle sert de refuge aux communistes trotskistes qui ont quitté le PCB en 1928. La montée du fascisme la radicalise, elle fusionne en 1934 avec la Jeunesse communiste. Cette alliance est cassée par l'Internationale communiste qui ne veut pas d'accord avec les trotskistes. Mais dans l'esprit du Front populaire et de la solidarité avec l'Espagne républicaine, elle forme la Jeune Garde socialiste unifiée avec la JC. Cette fois, c'est l'appareil du POB qui contre-attaque en interdisant l'appartenance à la fois à la JGSU et au PC. Des communistes reçoivent l'instruction d'y rester comme sous-marin et y exercent une influence non négligeable. La JGSU clandestine sera une branche du Front de l'Indépendance. Après la libération, les communistes se regroupent dans la Jeunesse populaire tandis que le PSB reconstitue sa JGS. En 1964, le PSB rompt avec la JGS de nouveau dirigée par des trotskistes.____ Ils préféreront l'éloigner et lui laisser poursuivre dès juillet 1941, des rêves de gloire militaire sur le front de l'Est, avec des «légionnaires wallons». Après la guerre, le PCB attribue la direction des actions de résistance menées dans la région liégeoise pendant le premier trimestre 1941 à Julien Lahaut. Il s'agit d'une manifestation de femmes de prisonniers de guerre menée à Herstal et de sabotages d'installations électriques par un groupe de trois partisans qui furent abattus ou fusillés par l'occupant. C'est dans ce contexte que se déroule un épisode à la limite du burlesque. Le 26 février 1941, un huissier se présente chez Julien Lahaut pour saisir le mobilier. Il vient exécuter une décision de justice obtenue devant un tribunal par l'entrepreneur qui avait construit sur commande du PCB le monument funéraire de Joseph Jacquemotte. Il n'avait jamais été payé. Julien Lahaut membre bien connu de son trio dirigeant, député, avait été condamné par défaut le 18 avril 1940 à payer de ses deniers. Il ne s'était pas exécuté mais avait organisé son insolvabilité. Il produit un bail signé avec son propre père qui lui loue sa maison meublée. Comme rien n'est à lui, rien ne peut être saisi. Et l'huissier de repartir bredouille. L'avocat de Julien Lahaut était Jean Fonteyne, conseil de l'ambassade d'URSS et principal contact du PCF en Belgique.
La grève des 100.000 - Table de matières Au printemps 1940, l'Internationale communiste infléchit encore sa ligne. Dimitrov, Togliatti, Thorez sont à Moscou mais restent en contact avec les communistes de leurs pays. L'agression nazie contre la Yougoslavie provoque une résistance où va s'illustrer Tito. La guerre continue d'être qualifiée d'impérialiste, mais «à l'intérieur de cette guerre injuste, la lutte pour la libération nationale est une cause juste». Cela se traduit en Belgique par «Ni Berlin, ni Londres. Pour l'indépendance de la Belgique, pour le droit des peuples wallon et flamand à disposer librement de leur sort». Comme Hitler prépare l'assaut contre l'URSS, il a besoin d'acier et de charbon et la production du bassin de Seraing compte. Par ailleurs, les salaires sont bloqués et les patrons s'efforcent encore de les réduire. Les prix s'envolent. Les rations diminuent. Les pommes de terre manquent. En avril 1941, un ingénieur d'un charbonnage du bassin de Seraing interroge les cinquante-cinq ouvriers qui descendent dans la mine(1). Deux d'entre eux n'avaient rien du tout à manger, un autre seulement deux ou trois carottes, les autres un peu de pain avec parfois quelque chose pour l'accompagner. Un seul avait de la viande. Ceci nous donne une idée des conditions de vie des ouvriers pendant les premiers mois de l'occupation. Des mouvements de mauvaise humeur, des grèves spontanées éclatent et la production ralentit. Dans ce contexte, la divergence entre socialistes et communistes devient un abîme. Rentré à Seraing, Joseph Bondas refuse de collaborer avec l'UTMI.
Il renoue des contacts avec les responsables syndicaux socialistes et publie un bulletin clandestin. Il lance des mots d'ordre modérés comme «saboter intelligemment, travailler lentement». Il s'oppose aux grèves qui comportent trop de risques sous l'occupation. Il dénonce Julien Lahaut comme «traître» parce qu'il assume les fonctions d'échevin. Le PCB répond sans faire dans la dentelle en dénonçant les «indécrottables valets du capital, capitulards, traîtres fuyards». Les socialistes recommandent de porter, le soir du 1er mai, un brin de muguet à la boutonnière en guise de manifestation. Les communistes appellent les travailleurs à abandonner les mines et les usines et à manifester leur volonté. Le 1er mai, il y a des arrêts de travail dans le textile gantois et dans les houillères du Borinage. On voit apparaître çà et là des chaulages et des drapeaux rouges. Le succès du mot d'ordre est donc mitigé. L'appel est relancé pour le 10 mai, premier anniversaire de l'invasion. Cette fois un débrayage à Cockerill met le feu aux poudres. La grève s'étend au sillon wallon. L'occupant estime le 19 mai qu'il y a soixante mille travailleurs en grève. Elle se prolonge dans le bassin du Nord français, fin mai-début juin. La presse clandestine annonce cent mille grévistes. La propagande communiste incite les travailleurs à quitter les organisations réformistes et à se ranger sous son drapeau, à nommer de «vrais délégués». Les communistes sortent des structures dormantes des anciens syndicats. Ils ne collaborent évidemment pas avec l'UTMI. Ils fondent des comités de lutte, de nouvelles structures syndicales qui formeront les Comités de Lutte syndicaux clandestins. Après la guerre, les anciens syndicats socialistes regroupés dans la Confédération générale du Travail de Belgique, le Mouvement syndical unifié d'André Renard, issu de la Résistance et les Syndicats uniques regroupant les Comités de Lutte syndicaux d'orientation communiste fonderont ensemble la FGTB. Mais en 1941, la division est totale. Les injures pleuvent. À la tête du mouvement les communistes attaquent les anciens leaders «réformistes, traîtres». Ils mettent dans le même sac des socialistes entrés en résistance et des personnages comme Joseph Bologne, bourgmestre de Liège, qui suspend l'instituteur Théo Dejace sans traitement pendant un mois pour son action syndicale, qui jette sa police contre les piquets de grève et s'excuse auprès des autorités allemandes de ne pas pouvoir maintenir l'ordre à cause des agitateurs communistes. Les Allemands se font en effet discrets et laissent le travail de répression et d'intimidation des grévistes à la gendarmerie et à la police liégeoise. Julien Lahaut anime le mouvement. Il suscite la création d'un comité de grève qui siège carrément à l'Hôtel de Ville de Seraing. Le 12 mai, le collège reçoit une délégation de mineurs qui se plaignent de l'insuffisance du ravitaillement, des salaires et de la charge excessive d'impôts. Le collège appuie les mineurs et déclare que leur grève concerne toute la population. Julien Lahaut est mandaté pour conduire une délégation à Bruxelles, composée de représentants des industriels et des ouvriers du bassin. Elle rencontre les 13 et 14 mai Emile De Winter, secrétaire général à l'agriculture qui a en charge le ravitaillement. Les secrétaires généraux des ministères remplaçaient les ministres pour faire fonctionner l'appareil d'État. De retour de délégation, le 15 mai, Julien Lahaut fait rapport au collège. Vers vingt heures, il tient un meeting devant une foule immense. La Feldgendarmerie, en arme et baïonnette au canon, est prête à charger. Un avion survole Seraing. Le comité de grève reçoit l'injonction de donner le mot d'ordre de reprise. Lahaut négocie avec les autorités militaires un délai de dix minutes et parcourt la foule en disant : «Dispersez-vous, ne cédez pas à la provocation. Mais nom di dju (nom de Dieu) la grève continue». Le 17, tous les délégués ouvriers et patronaux sont convoqués à la Kommandan-tur et subissent des menaces. Le travail reprend entre le 19 et le 21 mai. Julien Lahaut est reparti pour Bruxelles et annonce le 21 mai que les autorités allemandes envoient d'urgence des pommes de terre et de l'aide alimentaire à Liège. Le secrétaire général aux finances ne peut baisser les impôts mais accepte leur payement échelonné. Les travailleurs en lutte obtiennent une augmentation des rations, une hausse des salaires de huit pour cent et des allocations de vacances. La guerre n'avait, en effet, pas remis en cause les congés payés conquis en 1936. Liberté! l'organe clandestin de la fédération liégeoise du PCB écrit le 27 mai : «Monsieur De Winter est d'accord pour une augmentation des rations alimentaires, mais il n 'a rien à dire : monsieur Reeder, chef de l'occupation allemande, est le seul maître. Alors tous nos chefs : secrétaires généraux, gouverneurs, chefs de Rex, chefs de l'UTMI et le chef naturel Léopold III, tous sont donc des sous-chefs de monsieur Reeder, lui-même sous-chef des trusts Krupp-Liemens-Goering». Le 31 mai Julien Lahaut informe encore le collège de ses démarches auprès des autorités allemandes à Liège pour faire accélérer la distribution du ravitaillement. Le succès de la «grève des 100.000» augmente considérablement le prestige des communistes et la popularité de Julien Lahaut. Mais ce dernier ignorait que l'ordre de donner satisfaction aux grévistes venait directement de Berlin. Hitler avait besoin d'acier à l'approche de la date choisie pour attaquer l'URSS. À cette surprenante victoire sociale, remportée avec un minimum de répression, va succéder un coup de massue. Sonnewende - Table de matières Le 22 juin 1940, solstice d'été, est la date choisie par l'Allemagne nazie pour attaquer l'URSS entraînant avec elle ses alliés finlandais, hongrois, bulgares, roumains et italiens puis des collaborateurs de tous les pays occupés ainsi que des volontaires espagnols bénis par Franco et l'Église. Il va de soi que les nazis ne pouvaient admettre en pays occupé l'existence de partis communistes clandestins alors qu'ils déclenchaient leur offensive contre l'URSS. La SIPO, service de police militaire allemand opérant en pays conquis, est dirigée en Belgique par Constantin Canaris. Il a fait dresser avec la complicité des autorités belges des listes de communistes à arrêter et essaye de les localiser. Le parti avait partagé ses militants en trois catégories : ceux qui dissimulaient leur qualité de communiste et continuaient leur vie de tous les jours et leurs activités professionnelles, ceux qui étaient déjà passés à la clandestinité et ceux qui menaient, comme Julien Lahaut, une existence légale. Au petit matin, les agents de la sûreté allemande et les Feldgendarmes arrêtent à leur domicile tous les communistes connus. Certains échappent à l'arrestation en s'enfuyant par les toits et les jardins et préviennent des camarades en danger mais pour Julien Lahaut, il est trop tard. Après l'épisode de la grève des 100.000, il logeait prudemment à Bruxelles chez les Altorfer, citoyens suisses, contacts de Fonteyne, qui avaient logé Maurice Thorez et sa compagne Jeannette Vermeersch. Mais ce 22 juin, Julien Lahaut était chez lui auprès de son épouse. Il est fait prisonnier.
Le 4 juillet 1979, La Meuse publie une interview de Delaunay, auteur de La Belgique à l'heure allemande, publié à Bruxelles en 1977. Elle porte une accusation très grave contre Julien Lahaut, celle d'avoir lui-même livré à l'officier allemand Graff, la liste des communistes liégeois arrêtés à l'occasion de l'invasion de l'URSS par l'Allemagne nazie. Un article très fouillé de A. De Jonghe, «L'arrestation de communistes liégeois, le 22 juin 1941» dans La Vie wallonne, n°54, 1980, pages 255 à 280, fait un sort à cette affabulation. Il est avéré que des listes avaient été remises par le bourgmestre de Liège, le socialiste très anticommuniste Joseph Bologne et le procureur du roi Destexbe sur base de renseignements de la police. Ces derniers seront |ugés, après la Libération, par le conseil de guerre de Cfiarleroi. Julien Lahaut y sera entendu comme témoin. Bologne et Destexhe seront acquittés en raison de l'«absence d'intention méchante». Ils avaient remis un minimum d'information sur des communistes connus, dans le cadre de la politique du moindre mal et de collaboration molle qui sévissait à cette époque. Bologne restera bourgmestre de Liège jusqu'à sa destitution par l'occupant en 1942 à la veille de la fusion du Grand Liège et sous prétexte de son refus de donner à la police communale l'ordre de saluer les rexisfes en uniforme. La Résistance s'oppose radicalement à la reprise de son mayoraf à la Libération. Les révélations ult érieures montrent que l'administration Bologne a fait de l'excès de zèle pour satisfaire les nazis en répertoriant les juifs et les communistes comme le démontre le travail récent de Thierry Rozenblum. Dans les papiers Terfve on trouve une note accablante, sa police fournit, en plus des noms et adresses des communistes liégeois, la liste des locaux de réunions et cafés qu'ils fréquentent.Elle fait rapport au bourgmestre du résultat des arrestations et signale ceux qui y ont échappé comme des criminels «en fuite». Il est évidemment absurde d'accuser Julien Lahaut d'avoir été un mouchard et d'avoir livré des listes sur lesquelles lui et ses camarades figuraient. Rudi Van Doorslaer et Etienne Verhoeyen dans un article paru dans la Revue belge d'histoire contemporaine en 1986 apportent la preuve que Julien Lahaut, interrogé par la SIPO-SD, assimilée par le grand public à la Gestapo, le 3 septembre 1940 donne trois noms : le sien, celui de Xavier Relecom, principale figure publique du PCB, passé à la clandestinité depuis mars 1940 et parfaitement introuvable ainsi que celui de Georges Van den Boom, c'est-à-dire le trio dirigeant connu de tout le monde. Le rapport de l'interrogatoire est expédié à Berlin par Constantin Canaris. Il faut dire que ce dernier pouvait compter sur la complaisance de diverses polices belges pour dresser la liste des communistes à arrêter quand le moment serait venu, comme on l'a vu.__________ Prisonnier politique - Table de matières Julien Lahaut est conduit sans ménagement à la citadelle de Huy. Il y retrouve de nombreux camarades. Selon leurs témoignages, il a soutenu leur moral, organisé les détenus, s'est montré ferme face au commandant du fort et aux geôliers et surtout il a pensé à s'évader. L'idée de s'emparer du contrôle de la citadelle et d'organiser une évasion de masse est vite abandonnée. Une première tentative est réalisée à neuf. Julien Lahaut, Jean Tervfe, Paul Renotte et Fernand Jacquemotte (frère de Joseph) font partie de l'expédition. Elle tourne court à cause de l'étroi-tesse de la meurtrière choisie pour passer à l'extérieur. Les prisonniers rejoignent leur lit sans attirer l'attention de leurs gardiens. Pour la seconde tentative, Julien Lahaut est accompagné uniquement par Paul Renotte mais il est victime de sa forte carrure et ne peut passer dans le boyau repéré. Il aide Renotte à s'enfuir et fait l'étonné quand on lui demande où est passé son camarade de chambrée. Ce dernier, artiste peintre et sculpteur était devenu cadre permanent du PCB. Dans la clandestinité il organise la résistance dans le Luxembourg belge, à la Libération, il dirige l'hebdomadaire communiste liégeois Liberté. De 1947 à 1952, il est échevin de l'État civil et des Beaux-Arts de la Ville de Liège puis retourne à sa carrière artistique. La troisième fois, ce sont Julien Lahaut et Jean Terfve qui sont choisis pour l'évasion. Le 25 août vers six heures du matin, ils gagnent le sous-sol de la forteresse et passent par une meurtrière qui débouche à huit mètres au-dessus du sol. L'alimentation électrique de la citadelle passe par là. Jean Terfve s'y glisse et saute. Il échappera aux recherches. Après être devenu commandant de l'Armée belge des partisans, il sera ministre et finira sa vie comme vice-président du PCB. Pour Julien Lahaut, ça se passe mal. Il touche en effet un fil électrique et reçoit une violente décharge. Tombé au pied du mur extérieur dans un tapis de ronces, il rampe dans une prairie, escalade des rochers mais ses forces l'abandonnent et il s'évanouit. Tabassé, il est ramené sur la place d'appel puis jeté au cachot pendant huit jours.
Neuengamme - Table de matières Le 20 septembre, encore souffrant, Julien Lahaut est déporté avec deux cents autres détenus de Huy qui ne sont plus que des matricules. Les sources divergent légèrement. Selon Bob Claessens, le train qui les amène au camp de concentration de Neuengamme est un convoi composé de wagons à bestiaux cadenassés et cloués. Il met trois jours avant d'arriver à destination. Là ils découvrent leurs compagnons de voyage en provenance de Breendonk où le régime était beaucoup plus sévère. Les «Hutois» avaient pu emporter un peu de nourriture qu'ils partagent avec ceux de Breendonk affamés. Bob Claessens attribue cet acte de solidarité à Julien Lahaut. Il aurait été motivé par la rencontre avec le cadre communiste Jean Borremans complètement décharné. D'autres témoignages recueillis par la biographe de Bob Claessens, Colette Fontaine, donnent une autre version.
D'abord le voyage s'effectue dans un vieux train de voyageurs munis de banquettes en bois; ensuite ce sont les déportés affamés, arrivant de Breendonk, qui demandent de l'aide. Ceux de Huy se divisent, les uns ouvrant leur besace, les autres la gardant soigneusement fermée. L'ambiance devient menaçante. Les SS exigent qu'on leur remette toute la nourriture. C'est à ce moment que se fait le partage, dans le désordre et sous les coups des nazis. Une fois dans le camp les nouveaux arrivants reçoivent des betteraves rouges collectées par les prisonniers politiques allemands. Le Drapeau Rouge clandestin, dans son numéro du 7 octobre 1940, signale que le train des déportés a fait un arrêt à la gare de Bressoux, près de Liège, que les ouvriers des chemins de fer ont pu leur donner «de la nourriture et du tabac, malgré les menaces des garde-chiourmes» et que Julien Lahaut les a remerciés. Ce qui confirmerait un déplacement dans un train de voyageurs transformé en prison roulante, peut-être rejoint par des wagons à marchandises transportant les déportés en provenance de Breendonk. Sur le convoi de deux cent cinquante-sept déportés, cinquante et un seulement revinrent au pays. Le camp de Neuengamme est situé près de Hambourg. Les déportés ont la joie de percevoir les bombardements anglais sur la ville portuaire. Dans la hiérarchie des prisonniers, les kapos et les triangles verts, c'est-à-dire les condamnés de droit commun, voleurs et assassins, sont dominants. Ce n'est pas une situation favorable aux prisonniers politiques, les triangles rouges, livrés à la sauvagerie des SS et de leurs codétenus. Dans le camp, la résistance continue. Un système de solidarité est mis au point. Chacun prélève une petite part de sa nourriture déjà insuffisante pour constituer une ration de survie pour un camarade particulièrement affaibli. Le camp disposait aussi d'une cantine, et même d'un bordel. Les prisonniers pouvaient y accéder avec des bons destinés à stimuler leur travail effectué dans le camp ou dans les entreprises locales. Le peu de supplément de nourriture acheté par les membres du réseau clandestin d'entraide était partagé. Bob Claessens mourant sera sauvé de justesse grâce à cette entraide. Un service d'information par recoupement et interprétation de la presse allemande permet de soutenir le moral. C'est à vrai dire une entreprise périlleuse qui peut entraîner l'exécution immédiate de ceux qui participent à ce réseau d'information. Le travail à destination militaire est saboté. En décembre 1941, les communistes entrent dans la catégorie Nacht und Nebel, «nuit et brouillard» vouée à disparaître sans trace. Début 1942, en hiver, Julien Lahaut est pris de dysenterie. Or le dispensaire, c'est la mort certaine! Il continue de prendre part à l'appel, s'abstient de toute nourriture, avale un litre d'alcool fraudé par des communistes allemands pour se désinfecter. Et il survit. Envoyé en usine, Julien Lahaut, accusé de sabotage, est condamné à mort le 13 juillet 1944. Neuengamme étant un camp de concentration «trop doux», il est envoyé en compagnie de trois autres communistes belges à Mauthausen pour y subir sa peine. Un voyage absurde qu'ils effectuent à pied et en train, de prison en prison : Hambourg, Hanovre, Halle, Weimar, Prague, Linz et enfin à destination. Désiré Mosbeux explique, à son retour, que Julien Lahaut lui a pratiquement sauvé la vie : le sachant affaibli par la perte d'un rein, il l'aidait à circuler, lui cédait de la paille pour son couchage et lui racontait des blagues en wallon pour soutenir son moral. Mauthausen - Table de matières Situé dans la partie autrichienne du Reich, près de Linz, le camp de Mauthausen est particulièrement dur : la faim et un travail harassant dans une carrière viennent à bout des prisonniers. Toutefois, les Espagnols républicains déportés de France y sont très nombreux et ont colonisé l'administration intérieure laissée aux détenus. C'est fort important pour le choix des affectations et le développement de la solidarité. Beaucoup de communistes de tous les pays conquis s'y trouvent également. Une petite internationale s'y constitue. Julien Lahaut a laissé des souvenirs impérissables à ses compagnons. Il tentait d'unir tous les résistants par-delà les croyances et les nationalités. Il montait la garde pendant qu'un prêtre allemand célébrait la messe sur son lit. Le prince Czetwertynski, lieutenant dans l'armée polonaise, a dit de lui : «C'est un homme qui portait le soleil dans sa poche et en donnait un morceau à chacun». Cette parole, Jean Louvet, écrivain et dramaturge, en a fait le titre de sa pièce de théâtre consacrée à Lahaut. Un Français, Marcel Martin a écrit : «Lahaut, lui, a été à Mauthausen le roi de la solidarité. Il ne gardait presque rien pour lui. Jamais il n'a mangé seul. Nous avons été jusqu'à dix à fumer sa cigarette». Et pourtant, Julien Lahaut se sent partir. Une course de vitesse s'engage entre les Alliés et la mort. Un médecin tchèque, le docteur Stick, le soigne comme il peut au dispensaire du camp et le maintient en vie jusqu'au 28 avril 1945, date de sa libération. Devant l'avancée des Américains, les SS, pour tenter de sauver leur peau, avaient passé un accord avec la Croix-Rouge pour évacuer des prisonniers par camion vers la Suisse. Ils ont commencé par laisser partir les femmes, puis à dresser des listes de prioritaires. Marcel Baiwir, militant communiste liégeois, raconte dans ses mémoires qu'il avait eu la chance d'être sur une de ces listes. Il avait été contacté par Joseph Leemans, membre du Bureau politique, arrêté en 1943, pour faire un échange avec Julien Lahaut qui se trouvait à l'infirmerie. Il fallait selon Joseph Leemans préserver la vie d'un dirigeant comme Lahaut. Marcel Baiwir avait marqué son accord, mais le plan n'avait pas abouti. En avril 1945, l'appareil répressif est en pleine déliquescence et les S S prennent la fuite. Ils confient la garde du camp à des policiers venus de Vienne. Les républicains espagnols désarment leurs nouveaux gardiens et livrent un camp déjà libéré aux Américains. Julien Lahaut a donc survécu. En captivité, il est resté un leader, tous les témoignages attestent de sa fermeté, de sa dignité, de sa camaraderie. Sa qualité reconnue de dirigeant important lui vaut la sollicitude de ses codétenus. Il est sélectionné pour participer aux trois tentatives d'évasion de la citadelle de Huy, il est soutenu par les communistes allemands et fait l'objet de toute l'attention d'un médecin tchèque et de ses propres compatriotes.
«Voilà, ils ne nous ont pas eus, je vous l'avais bien dit, maintenant il s'agit de se remettre au travail» : c'est ce que Julien Lahaut aurait déclaré en sortant vivant de Mauthausen. Ces paroles reflètent bien son état d'esprit. Il a hâte de retrouver Seraing et son parti. Mais sa santé ne le permet pas. Son voyage de retour, en mai 1945, est interrompu en Suisse puis à Paris où il est hospitalisé à la Salpêtrière, dans un morne dortoir. Ensuite c'est à Bruxelles, à l'Hôpital Saint-Pierre qui comme son nom ne l'indique pas est un service public. Là, c'est la gloire. Le PCB doit canaliser les visites. Le Drapeau rouge publie l'avis suivant : «Un afflux considérable de personnes et de délégations se présentent pour saluer notre camarade Julien Lahaut. Nous demandons instamment aux visiteurs de se mettre en rapport avec le siège central du Parti (...) pour recevoir communication de l'heure à laquelle ils peuvent rendre visite à notre ami Lahaut (...) de manière à éviter un encombrement à l'hôpital et de ménager la santé encore compromise de notre cher rescapé». Ce dernier confie à son vieux camarade Arnold Boulanger qu'il se morfond. Ce dont il a besoin, c'est d'un meeting devant deux à trois mille ouvriers. Ce sera chose faite. Quelques jours plus tard, le 1 er juin, il est accueilli à Liège par la fanfare de la police communale qui l'escorte Liège où il prend la parole. Il a repris des forces. Il commence par chanter l'Internationale puis débute son meeting en ironisant. Les temps ont changé avec les victoires de Stalingrad et de Berlin. Aujourd'hui, la police l'attend pour jouer de la musique. Auparavant, c'était pour lui passer les menottes et le conduire à la prison Saint-Léonard. Le casier judiciaire de Julien Lahaut est effectivement bien chargé : douze condamnations de 1921 à 1939. Rien de honteux, seulement des injures, rébellions, outrages, destructions de biens, coups et blessures y compris dans l'enceinte du Parlement, uniquement motivés par une manifestation musclée de ses convictions politiques. À ce moment-là, l'homme qu'on portait en triomphe était encore privé du droit de vote en raison de ses condamnations. Il sera amnistié.Il n'y avait pas que la police liégeoise qui avait changé. Le PCB aussi. Quand Julien Lahaut avait été arrêté, il était à la tête de la Section belge de l'Internationale communiste (SBIC) qui était l'autre appellation du PCB. Or l'Internationale était dissoute. Cette décision d'autodissolution prise en 1943 visait un double but : rassurer les alliés anglo-saxons de l'URSS et, théoriquement, encourager chaque parti à faire preuve de créativité sur son terrain national. Certes le Kominform avait pris le relais du Komintern, mais il n'était plus une instance supérieure de décision. Il fonctionnait comme un organe de contact, d'information et de coordination du Mouvement communiste international. Quand Andor Berei qui assumait le contact entre le PCB et le Kominform rejoint sa patrie hongroise en 1946, il n'est pas remplacé. Julien Lahaut connaissait le parti révolutionnaire d'avant-guerre. Il retrouve un parti de gouvernement engagé dans une œuvre de reconstruction nationale teintée de patriotisme belge.
Ce parti fort de dix mille membres avant-guerre en avait perdu deux mille, fusillés, décapités, torturés à mort, disparus en déportation; il avait subi cinq mille arrestations mais il était en pleine croissance vu son rôle dans la Résistance. Le 11 août 1945, le Comité central crée pour Julien Lahaut le poste de président du parti. Cette fonction n'existait pas jusqu'alors. Elle est plutôt honorifique comme celle de Dolores Ibarruri, «la Passionaria», symbole du Parti communiste espagnol issu de la guerre civile. Certes Lahaut fait partie de la direction de son parti, mais le secrétaire général Edgar Lalmand en est bien le chef. On ne demande pas à Julien Lahaut de devenir ministre. Il préside effectivement les congrès et les travaux du Comité central, notamment ceux qui prennent attitude sur des rapports de la commission de contrôle des cadres aboutissant à des exclusions pour indiscipline et manquement aux règles de fonctionnement du parti. C'est le cas de Fernand Demany. Ce dernier, journaliste au Soir avait «brisé sa plume» en refusant de collaborer avec l'administration allemande qui avait mis la main sur le journal. Il était devenu une grande figure de la Résistance, membre du Front de l'Indépendance et à ce titre ministre de l'Information dans le gouvernement mis sur pied par Hubert Pierlot après la Libération. Il avait pris ses distances avec le parti. Il en est exclu le 15 juin 1950. Julien Lahaut est réputé pour sa fermeté. Des trois secrétaires de 1940, Julien Lahaut est le seul à encore occuper le devant de la scène. Les deux autres sont mis en accusation par la commission de contrôle politique du PCB, lors de la séance du Comité central qui le porte à la présidence. On leur reproche non pas une «trahison» mais une «capitulation» après leur arrestation en 1943, une attitude peu héroïque qui leur a valu la vie sauve. Simultanément un faux Drapeau rouge clandestin avait été diffusé par les services allemands pour démobiliser les communistes et briser le Front de l'Indépendance. Plusieurs membres du Bureau politique d'avant-guerre sont écartés des fonctions les plus hautes, sans perdre leur qualité de membres du parti. Ils sont souvent réélus au Comité central mais ils n'ont plus accès au Bureau politique. Le lecteur intéressé par cette question consultera l'ouvrage de José Gotovitch, Du rouge au tricolore, Résistance et Parti Communiste. Ce qu'il importe de souligner ici, c'est que Julien Lahaut est le seul dirigeant de l'avant-guerre à sortir du conflit vivant, auréolé de gloire, retrouvant à la fois sa base populaire et sa place au sommet de son parti.
À Seraing, son retour est triomphal. Il est attendu par la foule massée dans les rues. Même la mère supérieure des Petites Sœurs des Pauvres, qui avait soutenu le moral de son épouse, Gérardine, était là pour lui dire combien elles avaient prié pour son retour. Plus concrètement, la Société des Égaux, propriétaire du Théâtre de Seraing, offre à son fondateur sa première petite voiture. Après bien des années de privation de ses droits civiques, un arrêté du régent lui confère le titre d'Officier de l'Ordre de Léopold, le 15 février 1945. Le 21 juin 1948, il reçoit la Médaille du prisonnier politique 1940-1945 «avec un ruban chargé de huit étoiles». En 1946, il est porté à la vice-présidence de la Chambre. Il reprend son activité quotidienne de militant et d'élu du peuple. Pendant cinq ans, Julien Lahaut est de toutes les luttes du PCB. Sa forte personnalité, sa célébrité l'amènent à tenir des dizaines de meetings, à se placer à la tête de multiples manifestations, à relayer au Parlement les luttes populaires et les propositions du PCB. Dès sa rentrée à la Chambre, le 26 juillet 1945, après avoir répondu fermement au comte d'Aspremont-Lynden sur ses activités en 1941, il développe le point de vue des communistes sur la question royale : «Sire, allez-vous-en!» Il constate que Léopold III ne s'est pas seulement séparé du gouvernement mais du peuple résistant et souffrant; que Léopold III a placé le pays en pleine guerre sous l'hypothèque d'une politique étrangère et militaire inspirée par l'Allemagne, avec l'inévitable répercussion, sur le plan intérieur, de la plus grave division nationale; qu'un parti politique (le PSC) se refuse à admettre la vérité parce qu'elle ruine les espoirs électoralistes de la réaction et du néofascisme. Il souligne que le député Buset (PSB) a réclamé l'abdication, que le libéral Devèze s'est écrié à la tribune : «Quand on ne peut plus être un grand roi, on peut encore être un grand homme»; que le ministre Spaak reprenant les paroles de Chateaubriand a dit : «Sire, votre fils est notre roi», ce qui signifie, traduit en langage populaire franc et direct : «Sire allez-vous-en!» Il ajoute : «Comme je l'ai dit au cours de mon interpellation, nous aurions souhaité que le Parlement prononce la déchéance de Léopold III. Tous les éléments d'information sont réunis, permettant à la Chambre et au Sénat (...) de poser des actes décisifs et d'aider le pays à sortir de l'impasse. Le Parlement a le droit constitutionnel et aussi le devoir de prendre une décision irrévocable à l'égard d'un roi qui a démérité (...) À bon entendeur, salut!» Les communistes se rallient toutefois au compromis qui déclare le roi «empêché de régner» et pourvoit à la régence en nommant son frère, le prince Charles. La question royale aurait pu être tranchée ce jour-là et éviter bien des drames : déchéance de Léopold III, proclamation de Baudouin et régence en attendant la majorité de ce dernier. En 1946 il dépose avec le groupe communiste des propositions de loi créant un cadastre des fortunes et la création d'un dossier fiscal, avec l'obligation d'une déclaration des avoirs début 1947, soumise à vérification par le fisc et pénalement sanctionnée en cas de fraude. L'exposé des motifs souligne que de nombreux revenus échappent à l'impôt et que la taxation des héritages est trop souvent éludée. D'autres propositions concernent les nationalisations des houillères, des sociétés à portefeuille et de la Banque nationale qui avait, et a toujours, un statut de droit privé même si l'État y est largement majoritaire. En avril 1946, il réclame une réforme du calcul de l'indice des prix pour rencontrer le problème de la hausse effective due au marché noir. En juin, il propose de réformer l'INR, Institut national de Radiodiffusion, ancêtre de la RTB, pour la scinder en trois instituts : «un belge, un wallon et un flamand», tous trois dirigés par des conseils d'administration désignés par le Parlement. Julien Lahaut fait partie de la commission des naturalisations où il plaide en faveur des étrangers qui ont participé à la Résistance notamment des membres du Groupe Zéro, des Partisans Armés, de ceux qui ont sauvé des juifs, hébergé des clandestins et qui se sont portés volontaires pour l'armée belge. Le Congrès national wallon - Table de matières Le 14 octobre 1945 Julien Lahaut préside la conférence wallonne du PCB qui se tient à Ougrée. Son but est de préparer la participation communiste au Congrès national wallon convoqué pour les 20 et 21 octobre à Liège. La conférence estime que les communistes, en tant que Wallons, ont le droit de militer dans les organisations wallonnes, mais doivent en toutes circonstances défendre les positions fixées par les instances régulières du parti. Elle charge Henri Glineur et Jean Terfve de défendre la thèse de l'autonomie wallonne dans le cadre de la Belgique. Par autonomie, il faut comprendre «l'unilinguisme et la régionalisation de la législation en matière sociale, culturelle ainsi que de l'instruction publique». On sait que cette position sera adoptée par consensus, à la fin du congrès. Lors d'un premier vote, elle avait été supplantée par la proposition de réunion à la République française qui avait obtenu le plus de suffrages mais n'avait pas dépassé le seuil de cinquante pour cent des congressistes représentatifs des militants wallons de toutes tendances. Le 25 mars 1947, Julien Lahaut accepte de signer avec quatre autres parlementaires, une proposition de loi du député socialiste Marcel-Hubert Grégoire, Wallon élu à Bruxelles. Elle n'avait aucune chance d'être prise en considération puisqu'elle impliquait une modification de la Constitution. Elle indiquait une orientation : une Belgique confédérale, composée d'un État wallon, d'un État flamand et d'une région bruxelloise composée de dix-neuf communes, dotée d'un statut particulier. En 1945, le PCB renoue ainsi avec les thèses de l'immédiat avant-guerre. Cette orientation régionaliste et cette affirmation de l'identité wallonne seront rapidement estompées. Dans la brochure de Bob Claessens consacrée à la vie de Julien Lahaut en 1950, l'aspect militant wallon n'apparaît pas. Il faudra attendre 1960 et la grande grève pour que le PCB réaffirme sa ligne fédéraliste. Les élections de 1946 - Table de matières Aux élections législatives de 1946, le PCB remporte le plus grand succès électoral de son histoire. Il obtient vingt-trois sièges à la Chambre et devient le troisième parti, devant les libéraux. Pourtant, il est déçu. Il espérait plus, en raison de son action dans le Résistance et de sa présence au gouvernement. Il est particulièrement désappointé par son insuccès en Flandre. Il apparaît comme une formation essentiellement wallonne et bruxelloise. Dans le canton de Seraing, c'est un triomphe. Avec sept mille cinq cent nonante voix et 39,49% des suffrages, il dépasse la liste socialiste (sept mille quatre cent septante-trois voix, 38,88%). Julien Lahaut est évidemment reconduit à la Chambre par les presque quarante et un mille électeurs communistes (25,51%) de l'arrondissement de Liège. C'était la dernière élection au suffrage masculin. Voici comment Eugène Beaufort ancien député de Liège, revenant battu de l'arrondissement d'Arlon où il avait été parachuté, résume le sentiment interne au PCB : «II y avait bien sûr les nouveaux élus qui cachaient très mal leur contentement. Mais il y avait une atmosphère froide chez les militants. Il est vrai qu'ils avaient été gonflés à bloc par Julien Lahaut pendant la campagne : "Nous aurons cinquante sièges" disait Julien, mais il n'y croyait pas. Moi qui le connaissais, je savais qu'il n'y croyait pas, mais à sa façon de le dire et à la manière d'animer, il était bien difficile de ne pas s'y laisser prendre». Seraing-la-Rouge? - Table de matières Aux élections communales de la même année le succès est confirmé. Avec un siège de plus que le PSB (dix sièges), le PCB (onze sièges) propose une alliance à gauche, conforme d'ailleurs à la volonté exprimée par le Bureau du PSB et le Comité central du PCB. À Liège par exemple, les socialistes qui disposent d'une majorité relative forment le collège avec les communistes. C'est ainsi que Paul Renotte, compagnon de Julien Lahaut lors de leur tentative d'évasion du fort de Huy, devient échevin de l'État civil et des Beaux-Arts. À Verviers, il s'agit d'un véritable front «progressiste» PSB-PCB-UDB qui rejette les deux partis bourgeois dans l'opposition. L'Union démocratique belge fut un petit parti éphémère de tendance démocrate-chrétienne. À Roux, les socialistes devancés s'inclinent et acceptent un bourgmestre communiste. La ligne du PSB (nous sommes en pleine question royale) est de rejeter partout le PSC dans l'opposition. Mais à Seraing, les socialistes ne veulent à aucun prix de leur vieux et prestigieux rival comme bourgmestre, ils ont leur candidat : Joseph-Jean Merlot, fils de Joseph Merlot, ancien bourgmestre et ministre. Aux voix de préférence, Joseph-Jean Merlot est largement battu par quatre cent quatre-vingt-trois voix contre neuf cent septante-neuf à Julien Lahaut. Les socialistes manœuvrent et passent d'abord un accord avec le seul conseiller libéral formant ainsi un bloc de onze conseillers à opposer aux onze communistes. Ils proposent ensuite au PCB cette formule : un bourgmestre socialiste, un échevin socialiste, un échevin libéral et deux éche-vins communistes. Les communistes ripostent en rappelant la volonté exprimée par les électeurs et les électrices de voir Julien Lahaut devenir bourgmestre. Ils proposent un bourgmestre et un échevin communistes, deux échevins socialistes et un échevin libéral. Devant le refus du PSB, ils demandent alors, en vain, une réunion commune des membres du PSB et du PCB avec un vote secret. Deux bruits courent : le premier sur l'impopularité de l'avocat Joseph-Jean Merlot auprès de la base socialiste; le second à propos de négociations secrètes menées par ce dernier avec le PSC. Une pétition circule «dans les charbonnages, les usines, les quartiers, parmi les ménagères et les commerçants» pour dire «Respect de la démocratie! À Julien Lahaut l'écharpe de bourgmestre». L'année s'achève sans accord sur la présentation du bourgmestre. La première séance du nouveau Conseil communal se tient le 1er février 1947 et ressemble à une partie de poker menteur. Il faut élire des échevins au vote secret. Les socialistes font passer leurs trois candidats avec leurs voix appuyées par celles du libéral et des trois conseillers PSC. Les communistes proposent chaque fois, sans succès, la candidature de Julien Lahaut. Pour l'élection du quatrième échevin, les socialistes proposent leur allié libéral. Coup de théâtre, le PSC vote pour Julien Lahaut. Le groupe PSC déclare qu'il a ainsi fait la preuve qu'il n'avait pas passé d'accord avec le PSB et qu'il ne voulait pas voter pour un libéral. Julien Lahaut est donc promu échevin avec les voix communistes et celles du PSC. C'est d'autant plus gênant que le PCB avait fait campagne contre le PSC en soulignant à juste titre que c'était le parti refuge des anciens rexistes. Pour s'en sortir, le groupe communiste propose lors de la séance suivante, le 24 février, que les groupes socialiste et communiste présentent ensemble deux candidatures : Joseph-Jean Merlot et Julien Lahaut, laissant le choix au ministre de l'Intérieur de soumettre un des deux noms à la signature du régent. La majorité du Conseil communal refuse. Le groupe communiste demande alors, avec l'appui du conseiller libéral, une démission collective des conseillers communaux et de nouvelles élections, ce que le PSB et le PSC n'acceptent pas. Le groupe communiste quitte alors la séance, Julien Lahaut déclarant qu'il restera échevin pour «surveiller les socialistes». Les conseillers communaux socialistes et sociaux-chrétiens se prononcent alors en faveur de la seule candidature de Joseph-Jean Merlot comme bourgmestre. Le conseiller libéral s'abstient. C'est ainsi que Julien Lahaut ne sera jamais bourgmestre de Seraing-la-Rouge et que les communistes qui avaient conquis une majorité relative doivent se contenter de l'échevinat des finances. Retour à l'opposition - Table de matières Le vent tourne. La guerre froide est en marche. Le PCB se raidit. Il quitte le gouvernement sur une question d'augmentation du prix du charbon, le 12 mars 1947. Le lendemain, Julien Lahaut fait partie de la délégation du PCB qui rencontre Spaak. Ils reviennent sur la question du prix du charbon qui entraîne l'augmentation de celui de l'électricité. À l'époque, l'électricité produite provenait presque totalement des centrales thermiques au charbon. Spaak ne leur promet rien. Il affirme souhaiter un gouvernement à quatre qui n'exclurait donc pas les communistes, mais le 20 mars, il forme une coalition socialiste-sociale chrétienne. Il faut dire qu'à la même époque, les communistes sont éjectés des gouvernements français et italien. Au Parlement, Julien Lahaut, devient dès lors, un des ténors de l'opposition de gauche. Il défend des projets d'amélioration des pensions de vieillesse. Il propose l'assouplissement de la suspension des droits électoraux consécutive aux condamnations pénales. Il dépose une proposition de loi relative au chômage involontaire qui instaure l'égalité de la femme avec l'homme chef de ménage et un montant d'indemnité correspondant à septante pour cent du salaire d'un manœuvre adulte. À l'époque, l'indemnité n'était pas proportionnelle au salaire perdu plafonné. Le 16 août 1949, il signe quatre propositions qui traduisent le programme de réforme fiscale du PCB : une réduction des impôts sur le revenu par le relèvement du minimum exonéré et la suppression de la taxe de crise; la création d'un impôt de cinq pour cent sur les fortunes supérieures à un million et la majoration des impôts sur les sociétés anonymes; la réduction de la taxe professionnelle qui frappait les artisans et les détaillants. Le 15 décembre, il ajoute l'allégement des taxes foncières pour les petits propriétaires. Il dépose également des propositions de loi en faveur des paysans, notamment pour le maintien des prix agricoles et sur le bail à ferme. Il défend aussi le petit commerce contre les grands magasins et la propriété du fonds de commerce. Le PCB ne se présente plus comme une formation exclusivement prolétarienne. Il ambitionne d'être un grand parti populaire représentant aussi la paysannerie et les classes moyennes mais bien entendu il défend les salaires et propose l'application effective de la semaine des quarante heures, en attente depuis 1936.
Julien Lahaut intervient à propos de la politique internationale pour le développement des relations économiques avec les pays de l'Est et une politique de paix vis-à-vis de l'URSS.
En 1947, il inaugure la Maison de la presse abritant l'imprimerie du Drapeau rouge et de la Roode Vaan. Dans ce bâtiment qui est maintenant le siège des deux centres d'archives CArCoB et DACOB. Le PCB y avait organisé une grande exposition-vente d'œuvres d'art. La reine Elisabeth assistait au vernissage. En 1948, Julien Lahaut préside le IXème Congrès du PCB.
1948, c'est le «coup de Prague», par lequel, pacifiquement, sans l'aide militaire des Soviétiques, les communistes tchécoslovaques ont fait basculer la Tchécoslovaquie dans le camp des «démocraties populaires». Julien Lahaut tient un meeting au Théâtre de Seraing. L'enregistrement de son discours, sur disque, a été bien heureusement conservé. Il accueille Jeannette Vermeersch, compagne de Maurice Tho-rez et elle-même dirigeante du PCF, venue parler de la situation internationale. Il rappelle qu'avant-guerre les communistes français étaient expulsés de Belgique, qu'ils devaient s'y rendre clandestinement. Depuis 1945, les autorités sont obligées de les tolérer. II salue les «communistes tchécoslovaques qui ont fait capituler la droite, alors qu'en Belgique, en France, en Italie ils ont été exclus du gouvernement sous l'influence de l'impérialisme américain. Mais la bourgeoisie capitaliste a bien été obligée de reconnaître le nouveau gouvernement qui s'est installé à Prague». Avec une certaine jubilation Julien Lahaut souligne qu'il vient d'avoir le plaisir, comme vice-président de la Chambre, d'accueillir une délégation commerciale tchécoslovaque avec laquelle il est entré à Cockerill par la grande porte, alors qu'il avait été jeté dehors quarante-cinq ans plus tôt. Même réception au Val Saint-Lambert d'où il avait été congédié en 1908. Julien Lahaut en profite pour rappeler le chemin parcouru depuis les luttes de 1886 pour le droit de vote et la conquête des libertés syndicales après la répression de 1891. Son discours se termine par un appel au renforcement du PCB, devenu le premier parti à Seraing, à un rassemblement des forces de paix pour une société «aux lendemains qui chantent» pour une «Belgique libre, forte et indépendante». Les relations internationales se dégradent encore. La guerre éclate en Corée et les États-Unis menacent de recourir à la bombe atomique dont l'URSS se dote en 1949. L'Appel de Stockholm est lancé pour interdire les armes nucléaires. Julien Lahaut en est le premier signataire sérésien et son propagandiste. Le ton à l'égard des catholiques, des libéraux et des socialistes qui ont choisi le camp atlantique se durcit.
deux mots Léopold III succède à son père Albert I" victime d'un accident d'escalade en 1934. En 1936, il encourage son gouvernement à choisir le retour à la neutralité, s'éloignant ainsi de la France du Front populaire et pratiquant l'équidistance avec l'Allemagne hitlérienne. Cette politique est bien vue par la Flandre catholique, préconisée par des socialistes comme Spaak et de Man, mais révulse la gauche socialiste et communiste et g énéralement l'opinion wallonne, y compris libérale.1940, l'armé e belge est défaite, le roi capitule et se constitue prisonnier. Il s'est séparé de son gouvernement qui constate son incapacité de régner et poursuit la guerre sans lui. Le roi assigné à résidence à Laeken va rencontrer Hitler en Allemagne, officiellement pour demander la libération des soldats prisonniers; seuls les Flamands et les malades seront rendus à la liberté. Veuf, il épouse en 1941 Lilian Baels. Son mariage religieux précède son mariage civil, en violation de la Constitution.£n 1944, son frère le prince Charles échappe à la surveillance des Allemands et se met à la disposition du monde politique et des AJli és. Le Parlement l'élit comme régent, le 20 septembre 1944. Le roi avait été emmené en Allemagne avec sa famille après le débarquement en Normandie. Les Américains le libèrent, mais le gouvernement belge lui fait savoir que son retour est inopportun. La révélation d'un texte présenté comme son testament politique révèle ses penchants antidémocratiques, son aversion pour ses ministres de 1940 et inquiète même les Américains. C'est l'exil. Le retour en force de la droite aux élections de 1949 amène le gouvernement PSC-libéral à organiser une consultation populaire. Le «oui» au retour du roi l'emporte par 57,68% des suffrages, mais 58% des Wallons et 52% des Bruxellois ont voté contre. Les élections anticipées de 1950 donnent une majorité absolue au PSC-CVP. Les Chambres réunies votent la fin de l'impossibilité de régner.Léopold III reprend ses fonctions le 22 juillet, ce qui déclenche des grèves et des manifestations y compris en Flandre. Il s'efface au profit de son fils Baudouin nanti du titre de prince royal, et abdique effectivement en 1951. ____________________________ Léopold III revient - Table de matières La Gazette de Liège des 27 et 28 mai 1950 titrait «La franc-maçonnerie libéralo-marxiste veut la république en Belgique». La question était donc posée, mais restait théorique. Début juillet 1950, les communistes décident de se joindre à une manifestation en l'honneur du régent, tout en affirmant qu'il ne s'agit pas d'un ralliement à la monarchie «qui est une institution dépassée». Visiblement, ils ont un bon souvenir de la période où ils avaient des ministres officiellement nommés par le prince Charles. On peut estimer que si la régence s'était prolongée, il n'y aurait pas eu de campagne républicaine ni de prétexte à l'assassinat de Julien Lahaut. Le 20 juillet 1950, les Chambres réunies constatent que l'incapacité de régner a pris fin. Léopold III doit ainsi retrouver son trône. Le PSC-CVP qui dispose de la majorité absolue propose un ordre du jour d'hommage au régent et la constitution d'une délégation pour la lui porter. Le PSB décline la proposition en raison des termes employés. Jean Terfve refuse également. Il souligne que «Charles a bien fait son métier de régent, mais que pour les communistes la monarchie est une institution périmée». Les communistes, les socialistes et la grande majorité des libéraux quittent la séance pour laisser à la droite seule la responsabilité de la restauration de Léopold III. Pour les communistes, trois problèmes sont inextricablement liés : la mainmise américaine sur la Belgique; la question sociale, principalement les salaires, le temps de travail et les pensions; la perspective avec Léopold III d'un retour à «l'ordre nouveau», d'une amnistie pour les collaborateurs et d'une nouvelle guerre, cette fois contre l'URSS. Mais ils ne mettent pas en avant la revendication républicaine. Ils savent que la question n'est pas à l'ordre du jour. Ils vont concentrer toutes leurs forces sur le mot d'ordre d'abdication, à gagner par l'unité des forces démocratiques et par la grève générale. Le Drapeau rouge du 26 juillet condamne les sabotages qui accompagnent la grève - il y a eu effectivement des dynamitages - et menace de sanctions les communistes qui se laisseraient aller à de telles dérives. L'objectif de la grève est de chasser Léopold du pays, de gagner les quarante heures et d'autres revendications sociales. Le 30 juillet, la gendarmerie tue trois manifestants et en blesse mortellement un quatrième à Grâce-Berleur. Une marche sur Bruxelles porteuse des risques d'une guerre civile est programmée. Le roi et ses partisans cèdent. Un compromis est trouvé. Léopold III s'efface au profit de son fils Baudouin. Il abdiquera à terme si l'ordre règne. C'est inacceptable pour les communistes. Ils tentent sans succès de maintenir la grève pour une abdication immédiate et accusent les Américains d'avoir fait pression pour écarter le PCB des négociations. Comme le disait le bon sens populaire : «On avait un roi, maintenant on en a deux». Jean Terfve pose à la Chambre la question de la future résidence de Léopold III : s'éloignera-t-il vraiment de Baudouin ou chaperonnera-t-il ce dernier? Julien Lahaut ironise en proposant Seraing comme résidence de l'ex-roi. Nombre de grévistes s'estiment trahis. Le PCB va modifier son discours, la simple propagande remplaçant les mots d'ordre d'action. Le 4 août, paraît un communiqué du Bureau politique intitulé «la monarchie est une institution périmée». Le même jour un attentat est commis contre le siège central du PCB, sans faire de victimes. Le 6 août, Edgar Lalmand signe un éditorial dans Le Drapeau rouge «Sus à la monarchie, vive la république». Jean Terfve reprend ce slogan dans un discours à la Chambre. Le Bureau politique décide de faire un coup d'éclat le 11 août, jour de la prestation de serment du prince royal devant les Chambres réunies. Les groupes communistes de la Chambre et du Sénat étaient séparés. Les députés s'étaient réunis à la buvette de la Chambre pour mettre au point les derniers détails de leur intervention. Sur proposition de Jean Terfve, il fut décidé de crier au moment précis où Baudouin lèverait la main pour prêter serment. Il fut convenu également que Julien Lahaut crierait le premier, en raison de la puissance et de la résonance de sa voix. Mais dans les faits, Georges Glineur, à l'époque jeune député de Charleroi (à ne pas confondre avec son aîné le sénateur Henri Glineur) a crié un instant trop tôt. Immédiatement tout le groupe, y compris donc Julien Lahaut dont la voix dominait celle des autres, a repris le «Vive la République». Le premier cri, entendu en direct à la radio, a été attribué par l'opinion publique à Julien Lahaut. Il avait provoqué un tumulte qui couvrait le second. En 1934, Julien Lahaut et Joseph Jacquemotte avaient déjà crié lors de la prestation de serment de Léopold III «À bas la monarchie, vive les soviets de Flandre et de Wallonie» mais c'était passé inaperçu à l'époque. Le Drapeau Rouge du 12 août ne donne aucun détail, il relate que les députés communistes groupés autour d'Edgar Lalmand et de Julien Lahaut ont crié «Vive la République» au moment de la prestation de serment. À la nouvelle de l'assassinat de Julien Lahaut, le 18 août, le lien entre le cri et le meurtre apparaît comme une évidence. Le PCB ne met pas publiquement la chose au point. Il a perdu son président, son dirigeant le plus populaire; il a gagné un martyr. Le cri contribue à la légende de Julien Lahaut dont l'image est utilisée à des fins de propagande : promotion Julien Lahaut pour les nouveaux adhérents, pour la Jeunesse populaire, vente de photos, de bustes, collectes pour son monument, popularisation de Léon Timmermans son suppléant et successeur au Parlement. Ce n'est pas le moment d'ergoter. Toutefois une enquête interne au PCB aboutit à la relation des faits signée par les députés communistes présents. Le PCB était entré dans une phase de raidissement qui prendra fin avec le congrès tenu à Vilvoorde en 1954. Dans un premier temps il mène une campagne républicaine puis il l'abandonne sans bruit. Bien plus tard, dans les Cahiers marxistes de décembre 1980, Claude Renard qui a bien connu l'époque et deviendra un des principaux dirigeants du PCB, écrira que le «Vive la République» était une initiative contestable dénotant la dérive du parti vers des positions sectaires.
L'assassinat - Table de matières Mais après la journée du 11 août un complot se trame. Un groupe d'extrémistes de droite de la région de Hal choisit son objectif. Tuer Lalmand, ce serait atteindre le PCB à la tête, mais ses habitudes sont irrégulières et la cible est difficile à atteindre. Assassiner Lahaut, c'est frapper au cœur. L'homme est tellement confiant. Il suffit de se présenter chez lui, un soir. Et c'est ce qui arrive. Le 18 août 1950, Julien Lahaut revient de Bruxelles où il a participé à une séance du Parlement. Il s'arrête au local du PC rue du Pairay à Seraing. Il convient avec la tenancière de la prendre dans sa voiture le lendemain matin pour descendre ensemble à la gare des Guillemins. De là, il remonte rue de la Vecquée. Bob Claessens donne une description de cette petite maison acquise avec les indemnités de déporté à deux cents mètres de celle où il était né. Un corridor avec des reproductions de Vermeer, Rembrandt, Van Dyck, une cuisine où il mange avec Gérardine, un salon où il reçoit, encombré de souvenirs et de présents : lampes de mineurs, crochet de docker, presse-papiers offert par des ouvriers. On sonne. Il est vingt et une heures passées. Gérardine va ouvrir. Deux hommes en gabardine lui demandent à parler «à Monsieur le député, de la part du camarade Hendrickx». Elle appelle son mari. Comme d'habitude, sans méfiance, il marche jusqu'au seuil. Quatre coups de feu retentissent. Julien Lahaut meurt.
Le pays est consterné par l'assassinat. L'opinion publique est choquée par cet acte odieux étranger aux mœurs politiques belges en temps de paix. Il n'y a que Septembre, publication d'extrême droite où, sous des pseudonymes, s'exprime un certain André Moyen pour titrer «On a tué Jaurès» osant la comparaison d'un Jaurès et d'un Lahaut tous deux traîtres à la patrie à la veille d'une guerre. Les autorités condamnent le crime mais ajoutent des petites phrases pour prendre des distances, comme cet «hommage à un homme qui a défendu courageusement une idéologie que l'immense majorité des Belges réprouve».
André Moyen né en 1914. Espion par vocation. Il travaille sous couverture : instituteur, fonctionnaire, journaliste puis patron d'une société privée de sécurité. Avant-guerre, il est un indicateur, pendant l'occupation, il dirige le réseau Athos de la résistance de droite. En 1945, il travaille pour le renseignement de l'armée belge en Allemagne. Revenu à la vie civile, il dirige un réseau anticommuniste privé. La Sûreté de l'Etat se méfie de lui. En effet, il n'hésite pas à se faire passer pour un agent secret de l'armée ou de la police et diffuse de fausses nouvelles provocatrices comme le parachutage d'armes soviétiques destinées au Parti communiste. Il crée au Congo le réseau privé Crocodile qui concurrence l'officielle Sûreté congolaise et est cité dans l'enquête sur l'assassinat de Patrice Lumumba. Il jouit de la confiance et du soutien financier d'hommes d'affaires de premier plan et de politiciens de la droite du Parti social-chrétien. Il est en contact avec des fonctionnaires de la police judiciaire. Il connaît les meurtriers de Julien Lahaut et est peut-être l'organisateur de l'assassinat. Il fait de nombreuses déclarations fantaisistes pour brouiller les pistes. Son réseau contribue au sabotage de l'enquête. Il décède en 2008, emportant ses secrets dans la tombe. ___________ On attend les réactions du Parti communiste. Va-t-il appeler à la violence? Dans son rapport au Bureau politique du 19 août, Edgar Lalmand trace une ligne : Julien Lahaut a été assassiné après avoir crié «Vive la République», il convient donc de réaffirmer cette revendication. Isoler le PSC qui est l'ennemi principal, se rapprocher des travailleurs socialistes, dénoncer leurs «chefs droitiers et les gauchistes». Il fait son autocritique sur le manque de vigilance et l'absence de suite donnée aux mesures de protection des dirigeants décidées après l'attentat contre Togliatti. Le PCB calme le jeu, répercute dans
Le Drapeau rouge la nouvelle de l'arrestation d'un des assassins, un collaborateur notoire, rapidement mis hors cause. Le PCB veut se comporter en parti respectable bien établi, avec des hommes d'État à son service. Il organise le protocole des funérailles. Il désigne vaguement les «léo-rexistes» comme commanditaires du crime. Il organise une mobilisation populaire pour rendre hommage à son président. La fédération liégeoise imprime immédiatement cinquante mille tracts et deux mille affiches, commande dix mille exemplaires du Drapeau rouge. Le Bureau politique décide d'en tirer quatre-vingt mille d'un numéro spécial, de produire des portraits et des bustes en série.Hommes politiques et chefs syndicaux se pressent aux funérailles. Un immense cortège précédé de centaines de drapeaux conduit le cercueil du théâtre, base historique de Julien Lahaut, au cimetière des Biens Communaux, non loin du lieu de sa naissance. Le personnel communal, la police, les pompiers de Seraing, une formation musicale, des délégations étrangères l'accompagnent. L'INR, ancêtre le la RTBF, consacre un quart d'heure sur les ondes nationales et un autre sur les radios régionales pour couvrir l'événement. Le jour des funérailles, le bassin industriel sérésien est à l'arrêt. Des trains spéciaux sont organisés à partir du Borinage; partout en Wallonie et à Bruxelles des rendez-vous sont donnés devant les gares ou pour prendre des autocars. Les dockers d'Anvers, en grève pour leurs revendications salariales, envoient également une forte délégation. Dans le Hainaut, certaines communes suspendent le travail en signe de deuil. À Jemappes, la commune supprime le pointage des chômeurs ce jour-là. La section locale du PCB les transporte gratuitement à Seraing. Les marchandes de fleurs des marchés de Liège apportent des fleurs au siège fédéral du PCB. Il y a des grèves symboliques en France et en Italie, là où les syndicats communistes sont puissants. Le PC d'URSS envoie un message vibrant. Les PC français, italien, britannique, le Parti ouvrier polonais et les syndicats italiens sont représentés. Le PCB et Gérardine reçoivent une avalanche de télégrammes de condoléances. Mais il ne faudrait pas tomber dans l'image d'Épinal. L'assassinat de Julien Lahaut ne va-t-il pas faire rebondir la question royale? Ne va-t-il pas déboucher sur une grève générale? Comment affronter dignement son décès sans en faire un héros? N'oublions pas qu'il est considéré comme un ennemi de l'intérieur par le gouvernement PSC homogène dirigé par le nouveau Premier ministre très à droite Joseph Pholien. Enfin les chefs socialistes et syndicalistes ne l'aimaient pas. Pierre Tilly dans sa biographie d'André Renard montre bien que la FGTB est embarrassée. Elle convoque d'urgence son Bureau. Alors que les travailleurs du bassin liégeois débrayent spontanément, il faut les remettre au travail et canaliser le mouvement. La FGTB refuse la grève générale demandée par les communistes et concède tout juste une demi-heure de suspension du travail dans la région liégeoise et des délégations à négocier entreprise par entreprise, en soulignant «En allant aux funérailles, les travailleurs manifesteront pour la défense des principes qui sont les nôtres : la liberté et la démocratie». Il s'agit bien de prendre ses distances à l'égard du PCB comme ami de l'URSS. Toutefois, la Régionale liégeoise de la FGTB devra couvrir la grève générale sur son territoire tandis que le Syndicat unique des mineurs du Borinage, pas encore intégré à la FGTB, lance le mot d'ordre de grève. Une foule difficile à estimer entre cent mille et trois cent mille personnes se masse dans les rues de Seraing, le jour des funérailles. Le lendemain tout est calme dans le pays. Le 13 septembre 1950, devant le Conseil communal debout, Joseph-Jean Merlot rend hommage à Julien Lahaut. Tous les groupes s'y associent. Il convient de remplacer l'échevin des finances. Le groupe communiste propose Désiré Mosbeux, compagnon de lutte et de déportation de Julien Lahaut. Les autres groupes ne présentent pas de candidature concurrente, mais ne votent pas pour lui. Il est élu par dix suffrages communistes et quatorze bulletins blancs.
La majorité du Conseil communal, par quatorze voix contre neuf refuse le 8 février 1951 la proposition d'ériger un monument à Julien Lahaut place du Pairay, mais il offre une parcelle du cimetière avec un permis d'y élever une statue. Le PCB ouvre une souscription pour édifier un monument sur la tombe de son président. En 1952, le cinéaste Paul Meyer met en scène un «jeu de masse» pour l'installation provisoire d'un modèle en plâtre. Le monument définitif est inauguré en 1954. C'est là que se réunissent chaque année, le 18 août, celles et ceux qui ne veulent pas oublier. Des jeunes de divers horizons prennent la relève des vieux communistes. Les rassemblements au cimetière et des manifestations plus amples, des expositions, des cérémonies en salle réunissent des communistes, des socialistes, des membres de divers mouvements de gauche comme le PTB, des républicains, des militants wallons et des délégations venues de Flandre. La portion de la rue de la Vecquée où Julien Lahaut a été assassiné porte son nom depuis 1970. Une plaque commémorative est apposée sur la façade. Plaque de la rue Julien Lahaut en 2010
Julien Lahaut avait été exclu du syndicat des métallurgistes du POB suite à la grève d'Ougrée-Marihaye. Après la Libération, la nouvelle centrale des métallurgistes de la FGTB est le résultat de la fusion des anciens syndicats socialistes (CGTB), des syndicats communistes sortis de la clandestinité (CLS) et du nouveau syndicat fondé par André Renard (MSU). La motion Mertens de 1924, excluant les communistes, n'a plus de sens. Dans une lettre datée du 31 mai 1945, Julien Lahaut demande son affiliation «comme simple membre à la Centrale des Métallurgistes unifiés» par ce geste il appuie l'unité syndicale qui est en cours de réalisation. À l'occasion du soixantième anniversaire de l'assassinat, la Fédération liégeoise des métallurgistes FGTB lui rend hommage.
au cimetière des Biens Communaux à Seraing Une marque de sympathie étonnante - Table de matières Le 8 juillet 1951, la reine Elisabeth de passage à Seraing tient à rencontrer la veuve de Julien Lahaut. André Moyen est aux aguets, comme en témoigne cette copie d'une page du rapport d'activités de son réseau, découverte et communiquée au CArCoB par Emmanuel Gérard.
L'attitude de la reine Elisabeth témoigne d'une véritable sympathie à l'égard de la veuve de Julien Lahaut. Sa démarche relève aussi de son caractère volontiers provocateur et de son refus d'un anticommunisme qu'il était de bon ton d'afficher. Avant-guerre, le concours Eugène Ysaye qu'elle avait lancé et qui porte aujourd'hui son nom, avait permis de jeter des ponts avec l'URSS et de couronner des lauréats soviétiques. En 1947, elle répond positivement à l'invitation du Parti communiste à participer à l'inauguration de sa Maison de la presse et à parcourir l'exposition réalisée à cette occasion qui présentait des œuvres de peintres communistes français de renom. En pleine guerre froide, elle voyage en URSS et en Pologne. Elle se rend en Chine et est reçue par les autorités communistes à une époque où la Belgique ne reconnaissait pas la République populaire de Chine. Une enquête sabotée - Table de matières Un suspect, ancien collaborateur des nazis, est bien vite relâché. D'autres fausses pistes sont abandonnées. Une lettre anonyme accusant la main de Moscou est prise en considération. Comme le tueur a déclaré à Gérardine Lahaut qu'il voulait voir «Monsieur le député, de la part d'Hendrickx», on cherche dans la direction d'un compagnon de déportation. Adrien Hendrickx, militant communiste bruxellois, avait remis à sa libération un rapport sur sa déportation à Neuen-gamme destiné à la Commission de Contrôle Politique. Il y confirme le rôle de Julien Lahaut à la tête d'un comité de solidarité composé de cinq Belges et deux Hongrois qui arrivait à procurer à quelques dizaines de cotisants et de nécessiteux un supplément de pain et des cigarettes provenant de la cantine du camp. Adrien Hendrickx succède à Julien Lahaut quand ce dernier, condamné à mort pour sabotage est expédié à Mau-thausen. C'était un véritable ami dont l'identité avait été usurpée dans le cadre de la préparation du meurtre. Devant l'incapacité du parquet qui va même jusqu'à refuser l'accès au dossier à la partie civile et qui persiste à envisager un ordre de Moscou ou un règlement de compte entre anciens déportés, le PCB mène sa propre enquête. L'avocat Fonteyne, alors conseil de la veuve de Julien Lahaut, fait la liaison avec le vol d'une serviette appartenant à Frederika Stern dite Irène De Vries employée du PCB. Il demande au parquet de Liège de joindre les deux affaires. En vain, pourtant, la piste du cartable volé permettait aisément de remonter à André Moyen qui s'était servi des documents confidentiels contenus dans le porte-documents pour faire de la propagande anticommuniste et qui connaissait le meurtrier. La Libre Belgique du 18 août 1975 célèbre à sa manière le vingt-cinquième anniversaire de l'assassinat. Elle revient sur le bobard de Julien Lahaut livrant lui-même ses camarades à la Sicherheitsdienst. Elle cite un ancien des ACM (autos-canons-mitrailleuses) qui l'accuse de brutalité comme maréchal des logis et attribue son meurtre à une chapelle communiste «léniniste, staliniste ou trotskiste».Quand ils présentent, en 1987, la version française de leur livre, L'assassinat de Julien Lahaut, Une histoire de l'anticommunisme en Belgique, Rudy Van Doorslaer et Etienne Verhoeyen déclarent : «L'aspect le plus troublant de cette enquête est sans nul doute la découverte du fait que l'identité réelle de l'auteur de l'attentat était connue de la justice dès fin septembre 1950, un mois et demi après l'attentat. Il fut parmi les nombreux suspects signalés au cours de l'instruction judiciaire, et il est le seul (mis à part un autre suspect dont le rôle est resté assez trouble) qui ne fut jamais interrogé». La Libre Belgique titre encore «L'assassin de Lahaut était de gauche» pour qualifier François Goossens, le tireur alors identifié et décédé. Les noms de ses complices n'avaient pas encore été révélés. Il s'agit de Jan Hamelrijk et des frères Alex et Eugène Devillé. Ce dernier en 2007, dans une émission de la télévision flamande «Canvas» se vante d'être le véritable tireur. Goossens faisait partie d'un groupuscule d'extrême droite basé à Hal. Surnommé Adolphe, il est flamand, mais il s'exprime généralement et écrit en français. Farouchement attaché à la Belgique unitaire et à la personne du roi, il s'engage dans l'Armée Secrète. Il a donc été résistant. Après la guerre, il mène des actions illégales avec des complicités militaires, comme le dynamitage de la Tour de l'Yser, symbole flamingant. Son groupe est en contact avec Mgr Leclef, secrétaire privé du cardinal Van Roey. Adolphe a des protecteurs d'extrême droite à la Brigade Spéciale de Recherche de la gendarmerie. Il offre ses services à André Moyen, dit capitaine Freddy qui avait appartenu aux services secrets de l'armée belge. Ce dernier déclarera à la presse en 2002 qu'il connaissait l'assassin de Julien Lahaut, qu'il avait su dès le début, mais il brouille les pistes, parlant d'un trotskiste issu de la JOC ayant agi impulsivement sans ordre. Van Doorslaer et Verhoeyen ont rassemblé les preuves et témoignages attestant que le groupuscule de Hal disposait d'un émetteur, de caches d'armes et d'explosifs. Il faisait partie d'une structure dormante de Gladio qui préparait la résistance à une invasion soviétique pour le compte de la CIA. Il est établi que les assassins se mouvaient dans les milieux anticommunistes, catholiques et léopoldistes. En vérité, nous ne sommes pas loin des «léo-rexistes» dénoncés instinctivement par le PCB en août 1950. L'instruction n'avance pas, elle accumule des milliers de pages sans conclure. En 1970, le crime est prescrit. Le dossier de l'instruction a été classé par une ordonnance de non-lieu de la Chambre du conseil de Liège en 1972. Le parquet de Liège l'a même égaré. Heureusement, Jules Raskin, l'avocat de la partie civile en avait conservé la copie, et l'avait confiée ensuite au CArCoB (Centre des Archives du communisme en Belgique). Le parquet a dû la faire photocopier quand il a été question d'enquêter sur l'enquête. Le Parti communiste a réclamé par communiqués de presse et par de nombreuses pétitions, une commission d'enquête parlementaire. Une tentative échoue en 2002. Le 24 novembre 2005, à la Chambre, l'écolo Muriel Gerkens et les socialistes Patrick Moriau et Marie-Claire Lambert déposent une proposition «visant à créer une commission d'enquête parlementaire chargée d'établir les responsabilités et de faire toute la lumière sur l'assassinat de Julien Lahaut, député et président du Parti communiste de Belgique, le 18 août 1950 à Seraing par des inconnus». En effet, il n'y a pas de vérité judiciaire, ni de certitude que Goossens ne soit qu'un bouc émissaire ou un paravent. Dans l'exposé des motifs de leur proposition, les parlementaires parlent de carences de l'enquête, d'impunité des coupables, de faux-fuyants et soulignent que cette chape opaque maintenue sur cet événement porte atteinte à la démocratie. En vain! Les freins fonctionnent toujours, notamment du côté du CDH, héritier du PSC. Une autre voie se dessine. Au Sénat, en 2008, l'écolo Josy Dubié, le socialiste Philippe Moureaux et le CD&V Pol Van Den Driessche repartent à l'attaque. Cette fois il y a une majorité, non pour une enquête parlementaire, mais pour commander une étude scientifique confiée au CEGESOMA (Centre d'Études Guerre et Société). Cependant, en 2009, la ministre libérale Sabine Laruelle qui a les institutions scientifiques dans ses attributions refuse d'octroyer les trois cent nonante-six mille euros estimés par le CEGESOMA pour une étude prévue pendant trois ans. A-t-on peur de découvrir que l'assassinat de Julien Lahaut faisait partie d'un vaste complot mené pour déstabiliser les partis communistes? Palmiro Togliatti dirigeant du PCI survit à une tentative d'assassinat le 14 juillet 1948 comme le Japonais Kyuschi Tokuda le 19 juillet 1948. Jacques Duclos, numéro 2 du PCF échappe à un attentat le 8 octobre 1950. Le secrétaire général du Parti communiste argentin, Jorge Calvo n'a pas cette chance en 1951. Une autre hypothèse pouvait être aussi évoquée : une manœuvre de l'ultra droite. Albert de Vleeschauwer (PSC-CVP) personnalité catholique, était ministre de l'Intérieur dans le gouvernement de Jean Duvieusart qui, dans la nuit du 31 juillet au 1er août 1950, demande à Léopold III de se retirer et de faire place à son fils Baudouin. Albert de Vleeschauwer n'est pas d'accord et refuse d'entrer dans le nouveau gouvernement formé par Joseph Pholien. Il quitte secrètement la Belgique le 21 août, trois jours après l'assassinat de Lahaut. Il se rend en France, sous la protection d'André Moyen - encore lui - parce qu'il se sentait menacé. Menacé par quoi? Par une insurrection communiste qu'il aurait été facile de réprimer en vue, dans la foulée, de ramener Léopold III et d'instaurer un régime «fort»? Dans ce cas, le meurtre de Julien Lahaut aurait été une provocation ratée. Il faut faire éclater la vérité. On ne peut pas suivre la ministre Lamelle qui considère qu'une enquête sur l'enquête est inutile et trop chère. Une pétition de protestation circule alors pour exiger le respect de la volonté du Sénat. Véronique De Keyser, députée socialiste au Parlement européen, lance une souscription afin que les citoyens se mobilisent pour faire réussir ce que le gouvernement a voulu faire échouer. La Communauté française prend alors le relais. Le ministre chargé de la politique scientifique, Jean-Marc Nollet (Écolo) dégage un subside. L'enquête sur l'enquête peut commencer. Elle risque de ne pas aboutir faute de financement. En 2012, de Vleeschauwer Né en 1887, député du parti catholique puis du CVP de l'arrondissement de Louvain, Albert de Vleeschauwer était un homme de décision, un des ministres du gouvernement Pierlot à passer parmi les premiers à Londres en 1940. Comme ministre des Colonies. Il met les richesses du Congo au service de Churchill ainsi que la Force publique qui participe à la capture de l'armée italienne en Ethiopie. Sous son mandat, l'Union minière, fournit aux Américains l'uranium nécessaire à la fabrication des premières bombes atomiques. Se serait-il vu dans le rôle de restaurateur d'une Belgique autoritaire? En 1958, il redevient ministre et reçoit le portefeuille de l'agriculture, mais en 1960 il est amené à démissionner à cause d'une affaire privée de faillite au Congo. Il décède en 1971. ____________________ Paul Magnette (PS) ministre fédéral accorde une nouvelle subvention. En 2015, le CEGESOMA publie le résultat de son travail dans un fort volume de trois cent cinquante pages. L'équipe bilingue dirigée par Emmanuel Gérard, professeur à la KUL (Université catholique de Leuven) entouré de Widukind De Ridder et Françoise Muller édite à la Renaissance du livre, Qui a tué Julien Lahaut? avec un sous-titre qui a toute son importance : Les ombres de la guerre froide en Belgique. L'ouvrage décrit tout un monde animé par l'anticommunisme dans lequel gravitent des hommes politiques du PSC, des ecclésiastiques, des généraux à la retraite et des membres de la police judiciaire. Il révèle que dès 1948, une organisation anticommuniste anversoise soutenue par la laiterie Jacquet avait déjà projeté l'assassinat de Lahaut chez lui avec une équipe circulant en voiture munie de fausses plaques. Le cri « Vive la République » ne serait pas la cause, mais simplement l'occasion de mettre en application un plan inspiré des méthodes de Moyen pendant la guerre pour des actions de liquidation de traîtres. Soit agir loin de chez soi après avoir minutieusement repérer les lieux. Le réseau de Moyen comporte des équipes de renseignement, des informateurs infiltrés dans le Parti communiste, une brigade « rosé » composée de femmes chargées d'user de leurs charmes pour approcher des dirigeants communistes et des groupes de choc chargés des opérations violentes. Il y en a eu contre des locaux communistes et apparentés ainsi que le vol de la serviette de la secrétaire Stern. Herman Robiliart de l'Union minière et le baron Paul de Launoit patron de l'entreprise sidérurgique Ougrée-Marihaye et du Holding Brufina financent le réseau de Moyen et reçoivent ses informations. Dans le coffre-fort de Robiliart, frappé de mort subite, figure un rapport de Moyen dont le paragraphe concernant l'assassinat de Lahaut a été découpé et probablement détruit Mais le même rapport complet portant l'intitulé Activité du réseau pendant le mois d'août 1950 a été retrouvé dans les archives personnelles de de Vleeschauwer. C'est la principale découverte de l'équipe du CEGESOMA. On y lit :
Ni le secrétaire général du PCB, Lalmand, ni l'ancien ministre Terfve, ni Van den Branden figure populaire des luttes de dockers anversois ne seront victimes d'attentats, pas plus que d'autres hommes politiques ou magistrats. Les communistes garderont leur sang-froid et ne procéderont à aucune des représailles. Ce document pose des questions! La synarchie(2) que Moyen évoque et dit connaître, n'est-ce pas son propre réseau? C'est une habitude chez lui de se couvrir face à une éventuelle enquête judiciaire. Un ministre sortant de charge s'abstient de contacter la justice! Tous les correspondants du réseau à coup sûr Robiliart, de Launoit, des fonctionnaires de la police judiciaire se taisent. Le texte permet de comprendre que le réseau toujours au travail, sabote l'enquête et prive les juges d'instruction successifs des informations qui auraient pu éviter le classement sans suite. Le texte comporte des menaces. Il serait étonnant que le Premier ministre Joseph Pholien et son frère Camille, Procureur général n'aient pas été avertis. Le réseau de Moyen exerce-t-il une pression sur le gouvernement pour qu'il passe à l'action contre le Parti communiste? Par la suite, le gouvernement Pholien prendra des mesures législatives qui permettent de révoquer ou de sanctionner des fonctionnaires et des enseignants susceptibles d'intelligence avec l'ennemi (soviétique) et d'hostilité aux alliances internationales de la Belgique (l'OTAN). De quoi déclencher une chasse aux communistes dans la fonction publique. Mais ces mesures sont délicates à mettre en œuvre et font peu de victimes. En 1951, le juriste Henri Buch ancien commandant en chef des Partisans armés, membre du Conseil d'État, fait l'objet d'une enquête de police et est mis en accusation. Toutefois, la Cour de cassation refuse de le révoquer. Un autre héros de la résistance Roger van Praag, haut fonctionnaire, est déplacé et rate une promotion. Le magistrat Adrien van den Branden de Reeth subit des pressions qui l'amènent à démissionner de sa fonction dirigeante à l'Union belge pour la défense de la paix (UBDP) et de la présidence de l'Association belge des juristes démocrates (ABJD). François Brouers professeur à l'athénée de Herstal est muté à Huy par mesure disciplinaire pour avoir organisé une conférence de l'UBDP dans son école. À la Chambre, Camille Huysmans grande figure du parti socialiste met en garde contre une politique qui s'attaquerait d'abord aux communistes pour ensuite être appliquée à toute opposition à un régime réactionnaire. Le souvenir de la tactique d'Hitler est vivace. Mais cette législation existe encore aujourd'hui. Elle pourrait être utilisée par un pouvoir de droite pour frapper des membres de la fonction publique et des enseignants qui s'opposeraient par exemple à la participation de la Belgique à une guerre déclenchée par l'OTAN. L'équipe de CEGESOMA a accompli un immense travail mais s'est rendu compte que de nombreux documents avaient disparus ou n'étaient pas accessibles. Elle n'a pas apporté la preuve formelle que de Vleeschauwer était le commanditaire du meurtre de Lahaut et Moyen son exécutant. Elle n'a pas eu l'occasion de faire un lien entre l'assassinat du 18 août à Seraing et les autres attentats contre des chefs communistes, peut-être organisés par les services américains. Mais à défaut d'une vérité judiciaire, elle a établi la vérité historique et démontré la culpabilité des assassins impunis. Surtout elle a conclu qu'il y a «quelque chose de pourri au Royaume de Belgique». Elle a démontré que la connivence entre des services officiels de police et des services privés financés par le grand capital a mis en péril l'État de droit.
la carte de membre du PCB en 1952 BIBLIOGRAPHIE - Table de matières BAIWIR Marcel, Contribution à l'histoire sociale wallonne -Un militant témoigne, FAR, Liège, 2005. BLUME Jean, Drôle d'agenda, II, Bruxelles, FJJ, 1987. BONDAS Joseph, Histoire anecdotique du mouvement ouvrier au Pays de Liè ge, Éditions syndicales, 1955.CAHIERS MARXISTES, Le Parti communiste de Belgique (1921-1944), Actes de la journé e d'étude de Bruxelles, 28 avril 1979, CHEMA, FJJ, n° hors série, Bruxelles, 1980.CLAESSENS Bob, Julien Lahaut, Une vie au service du peuple, Bruxelles, SPE, sd. COLIGNON Alain, Le nouvel ordre communal, Jours de Guerre, Jours mê lés, Bruxelles, 1997.COLLECTIF, Les faces caché es de la monarchie belge, Contradictions n°65/66 - Toudi n°5, 1991.DANDOIS Bernard, Julien Lahaut 1884-1950, Catalogue de l'exposition organisée à Liège par la FJJ, 1980. DE JONGHE, L'arrestation de communistes liégeois, le 22 juin 1941 dans La Vie wallonne, tome 54, 1980. 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CArCoB ée publiée dans Jeune Belgique nOs 71 à 80, 1951. IHOES
Musée de l'armée
REMERCIEMENTS - Table de matières À José Gotovitch, directeur scientifique, François Belot, Milou Rikir (+), Marie-France Hanon archivistes du CArCoB, qui ont largement contribué à la recherche documentaire et à qui on doit la réédition de la bande dessinée J. Lahaut. Ainsi qu'à l'équipe de l'IHOES. À Jean-Chistophe Yu pour ses recherches sur son grand-père Paul Renotte. À Maxime Yu pour son travail sur le discours de 1948 à Seraing. À Betty Coletta, Serge Delaive et Jean-Claude Raillon qui ont relu le manuscrit. À Emmanuel GÉRARD et son équipe du CEGESOMA Au travail des Éditions du Cerisier. La vie de Julien Lahaut
Ita GASSEL et André JACQUEMOTTE (à voir par le lien: La vie de Julien Lahaut en Bande Dessinée, jh) Voici la réédition d'une bande dessinée retraçant la vie de Julien Lahaut, publiée de janvier à mars 1951, sous la forme d'un feuilleton dans les numéros 71 à 80 de Jeune Belgique. Le Centre des Archives communistes en Belgique (CArCoB) en possède presque toutes les planches originales. Jeune Belgique, organe des jeunes travailleurs était en fait le périodique de la Jeunesse populaire de Belgique (JPB), qui a existé entre 1946 et 1956. La JPB fut alors remplacée par la Jeunesse communiste de Belgique. Cent seize numéros de Jeune Belgique sont parus entre septembre 1946 et décembre 1954. Ita (Itamar) Gassel (1926-1994) est né en Palestine. Ses parents, des intellectuels juifs avaient quitté la Russie pour y émigrer mais se sont finalement fixés en Belgique. Ita Gassel a suivi une formation de typographe à l'Institut des Beaux-Arts de la Cambre. Au moment de la publication de la bande dessinée, dont il a écrit les textes selon la même trame que le récit de Bob Claessens, il était rédacteur à Jeune Belgique, membre de la JPB et du PCB. Il se lance ensuite dans une carrière d'imprimeur puis après avoir repris des études, devient ethnologue et sociologue. André Jacquemotte (1925-1993), fils du fondateur du PCB Joseph Jacquemotte et de Jeanne Schmuck, a étudié à la Cambre et participé aux activités de «métiers du mur» avec Yves Cognoul, Jean Goldmann (connu comme Jean Cimaise) et Paul Van Thienen, ce qui l'amènera à devenir un ami de Roger Somville. Quand il a dessiné le feuilleton J. Lahaut, il était membre de la JPB et du PCB. Il poursuit ensuite une carrière artistique et littéraire. (1) La presse clandestine de Seraing, 1940-1944, Éditions du Cerisier, 2006, p. 49 (2) Terme rare qui connaît plusieurs définitions. Ici on peut comprendre qu'il s'agit un groupe qui prend des décisions de manière autonome. Page dernière - Table de matières De l'anarcho-syndicalisme au syndicalisme de classe, de la Révolution russe aux grèves offensives et dures, vaincues-et victorieuses de l'entre-deux-guerres, de l'antifascisme à la guerre d'Espagne, de la lutte contre l'occupant aux camps de concentration, de la libération, la sienne et celle de tout un peuple, à la question royale, Lahaut parcourut tous ces chemins en marquant sa présence par son verbe, son action, sa chaleur et ses convictions. Et bien entendu c'est ce symbole qui fut abattu, donnant à cet homme qui «avait mis le soleil dans sa poche» l'aura d'un martyr, aux antipodes de la stature qui était sienne. Car, comme l'écrit ci-après Jules Pirlot, si cet assassinat politique, le premier commis en temps de paix dans notre pays, a marqué les esprits, il a aussi quelque peu masqué la longue suite de combats que constitue sa vie et couvre un demi-siècle. Car Lahaut fut tout sauf une icône. Extrait de la préface de José Gotovitch Les illustrations de couverture sont extraites de la bande dessinée «J. Lahaut» de (Ita Gassel et André Jacquemotte reproduite intégralement dans ce livre - (à voir par le lien: La vie de Julien Lahaut en Bande Dessinée, jh)
Place publique 14,00 €uros Carcob |